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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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France notre cousin, si nous sommes prêts
à l’aimer avec une fidélité toute chrétienne et à lui donner nombreuse
descendance, car les femmes en notre famille sont fécondes, il n’en est pas
moins vrai que notre réponse définitive demeure soumise à ce que votre maître
soit libre de Madame de Bourgogne, très promptement et très réellement. Nous ne
saurions nous contenter d’une répudiation acceptée par des évêques de complaisance,
et que l’Église en haut lieu pourrait contester.
    — Nous obtiendrons l’annulation
avant peu, Madame, comme j’ai eu l’honneur de vous en assurer.
    — Messire, nous sommes entre
nous. Ne m’assurez donc point de ce qui n’est pas fait.
    Bouville toussota pour cacher son
embarras.
    — Cette annulation,
répondit-il, est le premier souci de Monseigneur de Valois, qui fera tout pour
la diligenter, et considère d’ores à présent la chose pour acquise…
    — Oui, oui, grommela la vieille
reine, je connais mon gendre ! En paroles, rien ne lui résiste, et ses
chevaux ne se cassent point les jambes tant qu’il ne les a pas jetés dans un
ravin.
    Bien que sa fille Marguerite fût
morte quinze ans auparavant et que Charles de Valois, depuis, se fût remarié
deux fois, elle continuait de l’appeler « mon gendre ».
    — Il est bien entendu, aussi,
que nous ne donnons point de terre. La France m’en paraît avoir à suffisance.
Naguère, quand notre fille épousa Charles, elle lui apporta l’Anjou en dot, ce
qui était gros. Mais l’autre année, quand une fille du second lit de Charles
vint à s’unir à notre fils de Tarente, elle nous apporta Constantinople.
    Et la vieille reine, de sa main
goutteuse, eut un geste pour signifier que ce beau titre n’était que du vent.
    En retrait près de la fenêtre
ouverte, et regardant la mer, Clémence se sentait gênée d’assister à ce débat.
L’amour devait-il s’accompagner de ces préliminaires qui ressemblaient fort à
une discussion de traité ? C’était de son bonheur après tout qu’il
s’agissait, et de sa vie. On avait refusé pour elle, sans lui demander son
avis, tant de partis jugés insuffisants ! Et voilà que s’offrait le trône
de France, alors qu’un mois plus tôt elle se demandait s’il ne lui faudrait pas
entrer en religion ! Elle trouvait que sa grand-mère prenait un ton bien
cassant. Pour sa part, elle était disposée à traiter plus doucement la chance,
et à se montrer moins pointilleuse sur le droit canon… Très loin dans la baie,
un navire de haut bord mettait à la voile vers les côtes de Barbarie.
    — Sur mon chemin de retour,
Madame, disait Bouville, je m’arrête en Avignon, chargé des instructions de
Monseigneur de Valois. Et nous aurons avant peu ce pape qui nous fait défaut.
    — J’aime à vous croire,
répondit Marie de Hongrie. Mais nous désirons que tout soit réglé pour l’été.
Nous ne sommes pas en peine de prétendants à la main de Madame Clémence ;
d’autres princes la souhaitent pour épouse. Nous ne pouvons accorder de longs
délais.
    Les tendons de son cou saillirent à
nouveau.
    — Sachez qu’en Avignon,
continua-t-elle, le cardinal Duèze est notre candidat. Je souhaite fort qu’il
soit aussi celui du roi de France. Vous obtiendrez l’annulation d’autant plus
vite, s’il devient pape, qu’il nous doit beaucoup et nous est tout acquis. De
plus Avignon est terre angevine, dont nous sommes suzerains, sous le roi de
France, bien sûr. Ne l’oubliez pas. Allez présenter vos adieux au roi mon fils
et que tout se passe selon vos vœux… Avant l’été, messire, je vous le rappelle,
avant l’été !
    Bouville, s’étant incliné, se
retira.
    — Madame ma grand-mère, dit
Clémence d’une voix inquiète, croyez-vous que…
    La vieille reine lui frappa à petits
coups sur le bras.
    — Tout cela est dans la main de
Dieu, mon enfant, et il ne nous arrive rien que ce qu’il veut.
    Et elle sortit à son tour.
    « Le roi Louis a peut-être
bien, lui, d’autres princesses en tête, pensa Clémence une fois seule. Est-ce
habile de le presser ainsi, et ne va-t-il pas porter ailleurs son
choix ? »
    Elle se tenait devant le chevalet,
les mains croisées sur la taille, ayant repris machinalement l’attitude de son
portrait.
    « Un roi aura-t-il plaisir, se
demanda-t-elle encore, à poser ses lèvres sur ces mains-là ? »
     

VI

LA CHASSE AUX CARDINAUX
    Bouville et Guccio s’embarquèrent le
surlendemain

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