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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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le cardinal auprès d’une murette. Les deux hommes demeurèrent un
instant à s’observer, mutuellement déroutés par leur apparence. Bouville, avec
son respect inné de l’Église, s’attendait à voir un prélat plein de majesté, un
peu onctueux, et non ce farfadet sautant dans le brouillard. Le cardinal de
curie, qui croyait qu’on lui avait dépêché un capitaine de guerre de l’espèce
Nogaret ou Bertrand de Got, considérait ce gros homme couvert comme un oignon
et qui se mouchait avec fracas.
    Ce fut le cardinal qui attaqua. Sa
voix ne pouvait que surprendre qui ne l’avait pas encore entendue. Voilée comme
un tambour funèbre, tout à la fois vive, rapide et étouffée, elle ne semblait
pas sortir de lui, mais de quelqu’un d’autre qui se fût trouvé dans les parages
et qu’on cherchait instinctivement.
    — Vous venez donc, messire de
Bouville, de la part du roi Robert de Naples, qui me fait l’honneur de sa
chrétienne confiance. Le roi de Naples… le roi de Naples, répéta-t-il. C’est
fort bien. Mais vous êtes aussi envoyé du roi de France. Vous étiez grand
chambellan du roi Philippe, qui ne m’aimait guère… je ne sais trop pourquoi
d’ailleurs, car j’avais agi à sa convenance lors du concile de Vienne, pour
faire supprimer les Templiers.
    Bouville comprit que l’entretien
allait prendre un vrai tour politique, et se sentit, les pieds dans un champ de
Provence, comme si on l’interpellait au Conseil étroit. Il bénit sa mémoire de
lui fournir un argument de réponse.
    — Il me paraît, Monseigneur,
que vous vous étiez opposé à ce qu’on décrétât d’hérésie le pape
Boniface ; et le roi Philippe ne l’avait pas oublié.
    — Messire, en vérité, c’était
trop me demander. Les rois ne se rendent point compte de ce qu’ils exigent.
Quand on appartient au collège dans lequel se recrutent les papes, on répugne à
créer de tels précédents. Un roi, lorsqu’il monte au trône, ne fait point
proclamer que son père était traître, adultère et pillard, bien que ce soit
souvent le cas. Le pape Boniface est mort fou, nous le savons, en refusant les
sacrements et en proférant d’horribles blasphèmes. Mais il avait perdu l’esprit
parce qu’on l’avait souffleté sur son trône. Qu’aurait gagné l’Église à étaler
cette honte ? Quant aux bulles publiées par Boniface avant qu’il fût fou,
elles présentaient, pour toute hérésie, de déplaire au roi de France. Or en
telle matière, le jugement appartient au pape plutôt qu’au roi. Et
Clément V, mon vénéré bienfaiteur… Vous savez que je lui dois d’être le
peu que je suis… le pape Clément était de cet avis. Monseigneur de Marigny non
plus ne m’aime guère ; il a tout fait pour s’opposer à moi, depuis que le
trône de saint Pierre est vacant. Alors je ne comprends point ! Pourquoi
souhaitez-vous me voir ? Marigny est-il encore aussi puissant en France,
ou bien feint-il de l’être encore ? On affirme qu’il ne commande plus, et
tout continue pourtant à lui obéir.
    Étrange homme que ce cardinal qui
accumulait les ruses pour éviter un ambassadeur, puis pour le rencontrer, et,
dès le premier instant, entrait dans le vif des choses comme s’il connaissait
de toujours son interlocuteur.
    — La vérité, Monseigneur,
répondit Bouville qui ne voulait pas engager le débat sur Marigny, la vérité
est que je viens vous exprimer le souhait du roi Louis, et celui de Monseigneur
de Valois, d’avoir un pape au plus tôt.
    Les blancs sourcils du cardinal se
levèrent.
    — Le beau désir quand on
m’empêche, par cautèle, par argent ou par force, d’être élu depuis neuf
mois ! Non que je m’estime digne d’une si haute mission… mais qui l’est,
je vous le demande ?… ni que je sois plus avide qu’un autre d’une tiare
dont je sais bien le poids. L’évêché d’Avignon m’occupe suffisamment, et aussi
les traités auxquels je consacre toutes mes ressources de temps. J’ai entrepris
un Thésaurus pauperum, un Art transmutatoire sur les
recettes d’alchimie, et aussi un Élixir des Philosophes qui sont fort
avancés et que je voudrais bien voir achevés avant que de mourir… A-t-on changé
de décision à Paris en ce qui me regarde ? Est-ce moi maintenant que l’on
souhaite pour pape ?
    Bouville constata en cet instant que
les instructions de Monseigneur de Valois étaient, comme toujours, aussi
impératives que vagues. On lui avait dit : « Un

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