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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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jambe maigre, la tournure
héronnière, le menton penché, Philippe de Poitiers se tenait devant Louis
Hutin.
    — Sire, mon frère, disait-il
d’une voix tranchante et froide qui n’était pas sans rappeler celle de Philippe
le Bel, je vous ai remis les conclusions de notre examen. Vous ne pouvez pas me
demander de nier le vrai quand il éclate.
    La commission nommée pour vérifier
les comptes d’Enguerrand de Marigny venait d’achever la veille ses travaux.
    Pendant plusieurs semaines, Philippe
de Poitiers, les comtes de Valois, d’Évreux, et de Saint-Pol, le grand
chambrier Louis de Bourbon, l’archevêque Jean de Marigny, le chanoine Étienne
de Mornay, et le chambellan Mathieu de Trye, réunis sous la présidence sourcilleuse
du comte de Poitiers, avaient étudié ligne par ligne le journal du Trésor, sur
une période de seize ans ; ils avaient exigé des explications et s’étaient
fait produire justifications et pièces d’archives, sans omettre aucun chapitre.
Or cette enquête sévère effectuée dans un climat de rivalité et souvent de
haine, puisque la commission se partageait à peu près également entre
adversaires et partisans de Marigny, ne faisait rien apparaître qui pût être
retenu contre ce dernier. Son administration des biens de la couronne et des
deniers publics se révélait exacte et scrupuleuse. S’il était riche, il le
devait aux libéralités du feu roi, et à sa propre habileté financière. Mais
rien ne permettait d’avancer qu’il eût jamais confondu ses intérêts privés et
ceux de l’État, et encore moins qu’il eût volé le Trésor. Valois, en proie à
une déception furieuse de joueur qui a mal misé, s’était obstiné jusqu’au bout
à nier l’évidence ; et seul son chancelier Mornay l’avait à contrecœur
soutenu dans une insoutenable position.
    Louis X se trouvait donc en
possession des conclusions de la commission, prononcées à six voix contre deux,
et pourtant il hésitait à les approuver ; cette hésitation blessait
vivement son frère.
    — Les comptes de Marigny sont
purs ; je vous en produis la preuve, reprit Philippe de Poitiers. Si vous
souhaitiez un autre rapport que celui de la vérité, alors il vous fallait
désigner un autre rapporteur que moi.
    — Les comptes… les comptes…
répliqua Louis X. Chacun sait bien qu’on leur fait dire ce que l’on veut.
Et chacun sait aussi que vous êtes favorable à Marigny.
    Poitiers considéra son frère avec un
mépris calme.
    — Je ne suis ici favorable à
rien, Louis, sinon au royaume et à la justice ; c’est pourquoi je vous
présente à signer le quitus qu’il convient de donner à Marigny.
    Toutes les oppositions de
tempérament qui avaient existé entre Philippe le Bel et Charles de Valois
réapparaissaient entre Louis X et Philippe de Poitiers. Mais les rôles,
cette fois, étaient inversés. Naguère, le frère régnant possédait vraiment
toutes les qualités d’un roi, et Valois auprès de lui jouait les brouillons. À
présent c’était le brouillon qui régnait, et son cadet qui montrait des
aptitudes de souverain. Pendant vingt-neuf ans, Valois avait pensé :
« Ah ! Si seulement j’étais né le premier ! » Et maintenant
Poitiers commençait à se dire, mais avec plus de justesse : « Je
tiendrais certainement mieux la place où la naissance a mis mon frère. »
    — Et puis, les comptes ne sont
pas tout. D’autres choses ne me plaisent guère, dit Louis. Ainsi cette lettre
que j’ai reçue du roi d’Angleterre, me recommandant de reporter sur Marigny la
confiance que notre père avait en lui, et vantant les services qu’il avait
rendus aux deux royaumes… Je n’aime point qu’on me dicte mes actes.
    — Est-ce parce que notre
beau-frère vous donne un sage conseil qu’il vous faut aussitôt refuser de le
suivre ?
    Louis X détourna le regard et
s’agita un peu sur son siège. Il répondait à côté des questions et visiblement
voulait gagner du temps.
    — J’attendrai pour me prononcer
d’avoir entendu Bouville, dont le retour m’est annoncé tout à l’heure, dit-il.
    — Qu’a donc Bouville à voir
dans votre décision ?
    — Je veux avoir les nouvelles
de Naples, et celles du conclave, répondit le Hutin avec énervement. Je ne
souhaite point aller contre notre oncle Charles au moment qu’il me trouve une
épouse et qu’il me fait un pape.
    — Ainsi vous êtes prêt à
sacrifier aux humeurs de notre oncle un ministre

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