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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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pape. »
    — Mais certes, Monseigneur,
répondit-il mollement. Pourquoi pas vous ?
    — Alors, c’est qu’on a quelque
grave chose à me demander… je veux dire : à obtenir de qui sera élu. Quel
service attend-on ?
    — Il se trouve, Monseigneur,
que le roi est en besoin de faire annuler son mariage…
    — … pour pouvoir se
remarier avec Madame Clémence de Hongrie ? dit le cardinal.
    — Vous savez donc le
projet ?
    — N’avez-vous pas séjourné
trois grandes semaines à Naples, et n’apportez-vous pas un portrait de Madame
Clémence ?
    — Je vous vois bien renseigné,
Monseigneur.
    Le cardinal ne répondit pas et se
mit à observer le ciel comme s’il y regardait passer des anges.
    — Annuler… dit-il de sa voix
feutrée qui se dissolvait dans le brouillard. Certes on peut toujours annuler.
Les portes de l’église étaient-elles bien ouvertes le jour du mariage ?
Vous y assistiez… et vous ne vous souvenez pas. Il se peut que d’autres se
rappellent qu’elles aient été par mégarde fermées. Votre roi est cousin bien
proche de son épouse ! On a peut-être omis de demander la dispense. On
pourrait démarier à peu près tous les princes d’Europe pour ce motif ; ils
sont cousins de tous les côtés, et il n’est que de voir les produits de leurs
unions pour s’en rendre compte. Celui-ci boite, cet autre est sourd, tel encore
s’évertue sans succès à l’œuvre de chair. S’il ne se glissait de temps à autre
parmi eux quelque péché ou quelque mésalliance, on les verrait bientôt
s’éteindre de scrofule et de langueur.
    — La famille de France,
répondit Bouville blessé, se porte fort bien, et nos princes du sang sont
robustes comme des charrons.
    — Oui, oui… mais quand la
maladie ne les prend pas au corps, elle les prend à la tête. Et puis les
enfants y meurent beaucoup en bas âge… Non, vraiment, je ne suis point pressé
d’être pape.
    — Mais si vous le deveniez,
Monseigneur, dit Bouville tâchant à reprendre le fil, l’annulation vous semblerait-elle
chose possible… avant l’été ?
    — Annuler est moins difficile,
dit amèrement Jacques Duèze, que de retrouver les voix qu’on m’a fait perdre.
    L’entretien tournait en rond.
Bouville, apercevant ses hommes qui battaient la semelle au bout du champ,
regrettait de ne pouvoir appeler Guccio, ou bien ce signor Boccace qui semblait
si habile. La brume était moins dense et laissait deviner, très pâle, la
présence du soleil. Un jour sans vent. Bouville appréciait ce répit ; mais
il était las de se tenir debout et ses trois manteaux commençaient à lui peser.
Il s’assit machinalement sur la murette, faite de pierres plates superposées,
et demanda :
    — Enfin, Monseigneur, à quel
point en est le conclave ?
    — Le conclave ? Mais il
n’y en a point. Le cardinal d’Albano…
    — Vous voulez parler de messire
Arnaud d’Auch, qui vint à Paris l’an dernier…
    — … en tant que légat,
pour condamner le grand-maître du Temple. C’est cela même. Étant cardinal
camerlingue, c’est à lui de nous réunir ; or il s’arrange pour n’en rien faire
depuis que messire de Marigny, dont il passe pour être la créature, le lui a
interdit.
    — Mais si, à la parfin…
    À ce moment, Bouville se rendit
compte qu’il était assis, alors que le prélat demeurait debout, et il se releva
brusquement en s’excusant.
    — Non, non, messire, je vous
prie…, dit Duèze en le forçant à se rasseoir.
    Et il vint lui-même, d’un geste
léger, se poser sur la murette.
    — Si le conclave était enfin
réuni, reprit Bouville, à quoi arriverait-on ?
    — À rien. Ceci est fort simple
à comprendre.
    Fort simple, assurément, pour le
cardinal qui, comme tout candidat à une élection, reprenait chaque jour le
compte des suffrages éventuels ; moins simple pour Bouville qui eut
quelque mal à entendre la suite, toujours débitée de la même voix de confessionnal.
    — Le pape doit être élu aux
deux tiers des votants. Nous sommes vingt-trois : quinze Français et huit
Italiens. De ces huit, cinq sont pour le cardinal Caëtani, neveu de Boniface…
irréductibles. Nous ne les aurons jamais pour nous. Ils veulent venger
Boniface, haïssent la couronne de France et tous ceux qui, directement ou à
travers le pape Clément, mon vénéré bienfaiteur, l’ont pu servir.
    — Et les trois autres ?
    — … haïssent
Caëtani ; il s’agit des deux Colonna et de

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