La Reine étranglée
l’Orsini. Rivalités
ancestrales. Aucun de ces trois n’ayant lieu d’espérer pour soi, ils me sont
favorables dans la mesure où je fais obstacle à Francesco Caëtani ; à
moins que… à moins qu’on ne leur promette de ramener le Saint-Siège à Rome, ce
qui pourrait remettre un instant tous les Italiens d’accord, quitte ensuite à
les faire s’assassiner entre eux.
— Et les quinze Français ?
— Ah ! Si les Français
votaient ensemble, vous auriez un pape depuis beau temps ! Au début, six
m’étaient acquis, envers lesquels le roi de Naples, par mon entremise, s’était
montré généreux.
— Six Français, compta
Bouville, et trois Italiens cela nous fait neuf.
— Eh oui, messire… Cela fait
neuf, et il nous faut seize voix pour avoir le compte. Notez que les neuf
autres Français ne sont pas assez nombreux non plus pour avoir tel pape que
voudrait Marigny.
— Il s’agit donc de vous gagner
sept voix. Pensez-vous que certaines puissent être obtenues par argent ?
J’ai moyen de vous laisser quelques fonds. Combien comptez-vous par
cardinal ?
Bouville crut avoir amené la chose
fort habilement. À sa surprise, Duèze ne parut pas bondir sur la proposition.
— Je ne crois pas, répondit-il,
que les cardinaux français qui nous manquent soient sensibles à l’argument. Ce
n’est point que l’honnêteté soit chez tous la majeure vertu, ni qu’ils vivent
dans l’austérité ; mais la peur que leur inspire messire de Marigny
l’emporte pour le moment sur l’attrait des biens de ce monde. Les Italiens sont
plus âpres, mais la haine leur tient lieu de conscience.
— Ainsi, dit Bouville, tout repose
donc sur Marigny et sur le pouvoir qu’il a auprès de neuf cardinaux
français ?
— Tout dépend de cela, messire,
aujourd’hui… Demain cela peut dépendre d’autre chose. Combien d’or pouvez-vous
me remettre ?
Bouville écarquilla les yeux.
— Mais vous venez de me dire,
Monseigneur, que cet or ne pouvait vous servir de rien !
— C’est mal m’avoir compris,
messire. Cet or ne peut point m’aider à conquérir de nouveaux partisans, mais
il me serait fort nécessaire pour garder ceux que j’ai et auxquels, tant que je
ne suis point élu, je ne puis donner de bénéfices. La belle affaire si, quand
vous m’aurez trouvé les voix qui me manquent, j’avais perdu entre temps celles
qui me soutiennent !
— De quelle somme
souhaitez-vous disposer ?
— Si le roi de France est assez
riche que de me fournir six mille livres, je me charge de les bien employer.
À ce moment, Bouville eut à nouveau
besoin de se moucher. L’autre prit cela pour une finesse et craignit d’avoir
avancé un chiffre trop élevé. Ce fut le seul point que marqua Bouville dans
tout l’entretien.
— Même avec cinq mille,
chuchota Duèze, je serai en mesure de faire face… pour un temps.
Il savait déjà que cet or pour la
plus grande part ne quitterait point sa bourse, ou plutôt servirait à étouffer
ses dettes.
— La somme, dit Bouville, vous
sera remise par les Bardi.
— Qu’ils la gardent en dépôt,
répondit le cardinal ; j’ai un compte chez eux. J’y puiserai selon les
besoins.
Après quoi il se montra soudain
pressé de remonter sur sa mule, assura Bouville qu’il ne manquerait point de
prier pour lui et qu’il aurait plaisir à le revoir. Il tendit au gros homme son
anneau à baiser, et puis s’en repartit, sautillant dans l’herbe, comme il était
venu.
« Le curieux pape que nous
aurons là, qui s’occupe d’alchimie autant que d’Église, pensait Bouville en le
regardant s’éloigner ; était-il bien fait pour l’état qu’il a
choisi ? »
Bouville, au demeurant, n’était pas
trop mécontent de soi. On l’avait chargé de voir les cardinaux ? Il était
arrivé à en approcher un… De trouver un pape ? Ce Duèze paraissait ne pas
demander mieux que de l’être… De distribuer de l’or ? C’était chose faite.
Quand Bouville eut rejoint Guccio et
lui eut rapporté d’un air satisfait les résultats de son entrevue, le neveu de
Tolomei s’écria :
— Ainsi, messire Hugues, vous
êtes donc parvenu à acheter fort cher le seul cardinal qui fût déjà pour
nous !
Et l’or que les Bardi de Naples
avaient, par Tolomei, prêté au roi de France, retourna aux Bardi d’Avignon pour
les rembourser de ce qu’ils avaient prêté au candidat du roi de Naples.
VII
UN QUITUS EN ÉCHANGE D’UN PONTIFE
La
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