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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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intègre, et à éloigner du
pouvoir le seul homme qui sache, en ce jour, conduire les affaires. Prenez
garde, mon frère ; vous ne pourrez point maintenir demi-mesure. Vous avez
bien vu que, tandis que nous étions à éplucher les comptes de Marigny comme
ceux d’un mauvais serviteur, tout continuait en France à lui obéir ainsi que
par le passé. Il vous faudra, ou bien le restaurer en toute sa puissance, ou
bien l’abattre complètement en le tenant coupable de crimes inventés et en le
châtiant d’avoir été fidèle. Choisissez. Marigny peut mettre une année encore
avant de vous donner un pape ; mais il vous en donnera un conforme aux
intérêts du royaume. Notre oncle Charles, lui, va vous promettre un Saint-Père
pour chaque lendemain ; il n’ira sans doute pas plus vite, mais il vous
sortira quelque Caëtani qui voudra repartir pour Rome, et de là-bas nommer vos
évêques et tout régenter chez vous.
    Il prit le quitus qu’il avait
préparé, et l’approcha de ses yeux, car il était fort myope, pour le relire une
dernière fois.
    «… ainsi approuve, loue et reçois
les comptes du sire Enguerrand de Marigny et le tiens quitte, lui et ses hoirs,
de toutes les recettes faites par l’Administration du Trésor du Temple, du
Louvre et de la Chambre du Roi. »
    Il ne manquait au parchemin que le
paraphe royal et l’apposition du sceau.
    — Mon frère, reprit Poitiers,
vous m’avez assuré que je serais fait pair à la fin du deuil, et que je devais
déjà me regarder comme tel. En tant que pair du royaume je vous donne conseil
de signer. C’est accomplir un acte dicté par la justice.
    — La justice n’appartient qu’au
roi ! s’écria le Hutin avec la soudaine violence qu’il montrait lorsqu’il
se sentait en mauvais cas.
    — Non, Sire, répliqua calmement
Philippe ; non, Sire ; c’est le roi qui appartient à la justice, pour
en être l’expression et la faire triompher.
    Le même jour et vers la même heure,
Bouville et Guccio atteignaient Paris. La capitale commençait à s’engourdir
dans le froid et l’ombre tôt venue des soirées d’hiver.
    Mathieu de Trye attendait les
voyageurs à la porte Saint-Jacques. Il était chargé de saluer Bouville au nom
du roi, et de le conduire aussitôt auprès de ce dernier.
    — Eh quoi ? sans le
moindre repos ? dit Bouville. Je suis aussi rompu que sale, mon bon ami,
et je ne tiens debout que par miracle. Je n’ai plus l’âge de telles équipées.
Ne pouvait-on m’accorder de faire toilette et de dormir un brin ?
    Il était mécontent de la hâte qu’on
lui imposait. Il avait imaginé qu’il souperait avec Guccio une dernière fois,
dans le cabinet privé de quelque bonne auberge, et qu’ils se diraient alors
toutes ces choses qu’on n’a pas trouvé le moyen de se confier, en soixante
jours de voyage, et qu’on éprouve le besoin de formuler, l’ultime soir, comme
si l’occasion ne s’en devait plus représenter.
    Au lieu de cela, ils furent forcés
de se séparer en pleine rue, et sans même grande effusion d’amitié, car la
présence de Mathieu de Trye les gênait. Bouville avait le cœur gros ; il
ressentait la mélancolie des choses qui s’achèvent ; et, regardant Guccio
s’en aller, il voyait s’éloigner les beaux jours de Naples, ce miraculeux
moment de jeunesse dont le sort venait de gratifier son automne. Maintenant, le
regain était fauché et ne repousserait plus.
    « Je n’ai point dit assez merci
à ce gentil compagnon pour tout le service qu’il m’a rendu et pour l’agrément
que j’ai eu de son escorte » pensait Bouville.
    Il ne remarqua même pas, tant la
chose allait de soi, que Guccio emportait le coffre contenant le restant de
l’or des Bardi ; petite somme au demeurant, après tous les frais de
l’expédition et l’obole au cardinal, mais qui permettrait au moins à la
compagnie Tolomei de percevoir sa commission.
    Cela n’empêchait point Guccio
d’avoir lui aussi de l’émotion à quitter le gros Bouville ; chez les gens
bien doués pour les affaires, le sens de l’intérêt n’entrave nullement le jeu
des sentiments.
    Bouville, pénétrant au Palais, y
nota certains détails qui ne lui plurent pas. Les serviteurs semblaient avoir
perdu l’exactitude appliquée qu’il avait su leur imposer, du temps du roi
Philippe, et cet air de déférence et de cérémonie, qui prouvait, en leurs
moindres gestes, qu’ils appartenaient à la maison royale. Le relâchement

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