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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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avait
rendue Alain de Pareilles pour lui rappeler les instructions de Marigny.
Partis, les coffres et les chaises apportés en l’honneur de Monseigneur
d’Artois ; partie, la table où la reine prisonnière avait dîné en face de
son cousin. Quelques éléments du grossier mobilier fourni à la troupe
garnissaient maigrement la geôle ronde. Le lit était pourvu d’un matelas bourré
de cosses de pois séchées. En revanche, Pareilles ayant dit que la santé de
Madame Marguerite importait à Marigny, Bersumée veillait depuis lors à ce que
les couvertures fussent assez nombreuses. Mais les draps n’avaient pas été
changés une seule fois, et l’on n’allumait de feu que lorsqu’il gelait.
    Les deux femmes s’assirent côte à
côte au bord du lit, les écuelles posées sur leurs genoux.
    Blanche commença de laper la
bouillie de sarrasin à même l’écuelle, sans se servir de la cuiller. Marguerite
ne mangeait pas. Elle se chauffait les doigts autour du bol de bois ;
c’était là l’une des seules bonnes minutes de sa journée, et la dernière joie
sensuelle qui lui restât. Elle fermait les yeux, toute concentrée sur le
misérable plaisir de recueillir un peu de chaleur au creux de ses mains.
    Soudain, Blanche se leva et jeta son
écuelle à travers la pièce. La bouillie se répandit sur le sol, où elle
surirait pendant une semaine.
    — Qu’as-tu donc ? demanda
Marguerite.
    — Je veux mourir, je veux me
tuer ! hurla Blanche. Je m’en vais me bouter du haut de l’escalier… Et tu
resteras seule… seule !
    Marguerite soupira et plongea sa
cuiller dans le bol.
    — Jamais nous ne sortirons
d’ici, à cause de toi, reprit Blanche, parce que tu n’as pas voulu écrire la
lettre que te demandait Robert. C’est ta faute, tout est ta faute. Ce n’est pas
vivre que de rester ici. Mais je vais mourir. Et tu resteras seule.
    L’espérance déçue est funeste aux
prisonniers. Blanche avait cru, en apprenant la mort de Philippe le Bel, et
surtout en voyant arriver Robert d’Artois, qu’elle allait être libérée. Et puis
rien ne s’était produit, sinon le retrait quasi total des adoucissements que le
passage de leur cousin avait obtenus quelques jours aux recluses. Depuis ce
temps, Blanche semblait une autre personne. Elle avait cessé de se laver ;
elle maigrissait ; elle passait de soudaines fureurs à de soudains accès
de larmes qui laissaient de longs traits gris sur ses joues souillées. Ses
cheveux un peu plus longs sortaient collés, emmêlés, de son béguin de toile.
Elle était pleine de reproches et de griefs envers Marguerite, et les
ressassait inlassablement ; elle tenait Marguerite pour responsable,
l’accusait de l’avoir poussée dans les bras de Gautier d’Aunay, l’insultait
puis exigeait en trépignant qu’elle écrivît à Paris pour accepter la
proposition qu’on lui avait faite. Et la haine s’installait entre ces deux
femmes qui n’avaient chacune que l’autre pour compagnie et pour soutien.
    — Eh bien, crève donc, puisque
tu n’as plus le cœur de lutter ! répondit Marguerite.
    — Pourquoi lutter ? Lutter
contre les murs… Pour que tu sois reine ? Parce que tu espères encore que
tu seras reine ? La reine ! La reine ! Voyez la reine !
    — Mais si j’avais cédé, c’est
moi qu’on aurait libérée, peut-être, mais pas toi.
    — Seule, seule, tu vas rester
seule ! répétait Blanche.
    — Tant mieux ! Je ne
désire que cela, être seule ! répondit Marguerite.
    Chez elle aussi, les récentes
semaines avaient causé plus de ravages que toute la première demi-année de
réclusion. Son visage était amaigri, durci, marqué de dartres. Les jours
s’égrenant sans rien apporter, la même question, continuellement, lui
tourmentait l’esprit. N’avait-elle pas eu tort de refuser la proposition ?
    Blanche s’élança vers l’escalier.
Marguerite pensa : « Qu’elle aille se fracasser ! Que je ne
l’entende plus gémir et hurler ! Elle ne se tuera pas, mais au moins on
l’emmènera, on l’éloignera. » Et elle courut derrière sa belle-sœur, les
mains en avant, comme pour la pousser vers les profondeurs de la vis.
    Blanche se retourna. Un instant,
elles s’affrontèrent du regard. Soudain Marguerite s’appuya, s’affaissa
presque, contre le mur.
    — Nous devenons folles toutes
les deux… dit-elle. Allons, je pense qu’il faut l’écrire, cette lettre. Moi
aussi je suis à bout.
    Et se penchant, elle

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