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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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résister au régime auquel on l’a soumise… Peut-être
Marigny… ce serait bien un tour de sa manière… vous cache-t-il qu’elle est près
de sa fin. Il conviendrait d’y aller voir.
    Ils furent sensibles, tous deux, au
silence qui les environnait. Il est précieux, entre princes, de si bien se
comprendre que les paroles cessent d’être nécessaires…
    — Vous m’aviez assuré, mon
neveu, dit seulement Valois après un moment, que vous me donneriez Marigny le
jour que vous auriez un pape.
    — Je pourrais vous le donner
aussi bien, mon oncle, le jour que je serais veuf, répondit le Hutin en
baissant la voix.
    Valois passa ses doigts bagués sur
ses larges joues couperosées.
    — Il faudrait me donner Marigny
d’abord, puisqu’il commande toutes les forteresses, et empêche qu’on entre à
Château-Gaillard.
    — Soit, répondit Louis X.
Je lève ma main de dessus lui. Vous pourrez dire à votre chancelier de me
présenter à signer tous ordres que vous jugerez utiles.
    Ce même soir, après l’heure du
souper, Enguerrand de Marigny, enfermé dans son cabinet, rédigeait le mémoire
qu’il avait décidé d’adresser au roi pour réclamer, conformément aux nouvelles
ordonnances, gage de bataille. En clair, il allait provoquer le comte de Valois
en combat singulier, et se trouvait ainsi le premier à demander l’application
de ces « chartes aux seigneurs » contre lesquelles il avait tant
lutté. Ce fut alors qu’on lui annonça Hugues de Bouville, qu’il reçut aussitôt.
L’ancien grand chambellan de Philippe le Bel montrait une mine sombre et semblait
tiraillé par des sentiments contraires.
    — Enguerrand, je suis venu te
prévenir, dit-il en regardant le tapis. Ne dors point cette nuit chez toi, car
on veut t’arrêter ; je le sais.
    — M’arrêter ? C’est un mot
jeté au vent ; ils n’oseront pas, répondit Marigny. Et qui viendrait
m’arrêter, je te le demande ? Alain de Pareilles ? Jamais Alain
n’accepterait d’exécuter un tel ordre. Il soutiendrait plutôt un siège dans mon
hôtel avec ses archers…
    — Tu as tort de ne point me
croire, Enguerrand ; et tu as eu tort aussi, je t’assure, d’agir comme tu
l’as fait ces derniers mois. Quand on est aux places où nous sommes, travailler
contre le roi, quel que soit le roi, c’est travailler contre soi-même. Et moi
aussi je suis en train de travailler contre le roi en ce moment, pour l’amitié
que je te porte, et parce que je voudrais te sauver.
    Le gros homme était sincèrement
malheureux. Serviteur loyal du souverain, ami fidèle, dignitaire intègre,
respectueux des commandements de Dieu et des lois du royaume, les sentiments qui
l’animaient, tous également honnêtes, soudain devenaient inconciliables.
    — Ce que je viens t’apprendre,
Enguerrand, poursuivit-il, je le sais par Monseigneur de Poitiers, qui pour
l’heure est ton seul et dernier soutien. Monseigneur de Poitiers voudrait
mettre de l’espace entre toi et les barons. Il a conseillé à son frère de
t’envoyer gouverner quelque terre lointaine, Chypre par exemple.
    — Chypre ? s’écria
Marigny… Me laisser enfermer dans cette île au bout de la mer, alors que j’ai
commandé le royaume de France ? Est-ce là qu’on veut m’exiler ? Je
continuerai à marcher en maître sur la terre de Paris, ou bien j’y mourrai.
    Bouville secoua tristement ses
mèches noires et blanches.
    — Crois-moi, cette nuit ne dors
point chez toi, répéta-t-il. Et si tu juges ma maison un assez sûr asile… Fais
comme tu voudras ; je t’aurai prévenu.
    Aussitôt Bouville sorti, Enguerrand
rejoignit dans leur appartement son épouse et sa belle-sœur Chanteloup pour les
mettre au courant. Il avait besoin de parler, et de sentir la présence de ses
proches. Les deux femmes furent d’avis qu’il fallait partir dans l’instant pour
quelqu’une de leurs terres, aux confins normands, et puis, de là, si le danger
se précipitait, gagner un port et se réfugier auprès du roi d’Angleterre.
    Mais Enguerrand s’emporta.
    — Ne suis-je donc environné,
s’écria-t-il, que de femelles et de chapons !
    Et il s’alla coucher comme les
autres soirs. Il caressa son chien favori, se fit déshabiller par son
chambellan, et le regarda tirer les poids de l’horloge, objet peu répandu
encore, même dans les hôtels nobles, et qu’il avait acquis à grand prix. Il
tourna un moment dans sa pensée les dernières phrases de son mémoire au

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