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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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n’y avoir point pensé… Ainsi, elle avait accepté ; et nous n’en
avons rien su. Oui, tout cela est grande sottise, en vérité. Mais à présent, il
est trop tard pour y rien changer. Et de toute manière, dans l’état où je la
vois, il ne saurait lui rester de longues journées à vivre. »
    Ayant soulagé sa colère contre
Bersumée, il se sentait détaché et presque triste. Il se tenait, massif, les
mains posées sur les cuisses, et entouré d’hommes de guerre armés jusqu’à la
tête, devant ce grabat où gisait une femme épuisée. Pourtant avait-il assez
détesté Marguerite lorsqu’elle était reine de Navarre et promise au trône de
France ! Que n’avait-il tramé pour la perdre, multipliant intrigues,
voyages, liguant contre elle et la cour d’Angleterre et la cour de
France ? L’hiver dernier encore, si puissant baron qu’il fût, si misérable
prisonnière qu’elle se trouvât, il l’eût volontiers broyée quand elle lui
opposait son refus. Maintenant, son triomphe le conduisait plus loin qu’il
n’eût voulu aller. Il n’éprouvait pas de pitié, seulement une espèce
d’indifférence écœurée, de lassitude amère. Tant de moyens mobilisés contre un
corps amaigri et malade, une pensée sans défense ! La haine, en Robert,
s’était éteinte soudain, parce qu’il ne rencontrait plus de résistance à la
mesure de sa force.
    Il se prenait à regretter, oui,
sincèrement, que la lettre ne lui fût pas parvenue, et mesurait l’absurdité des
enchaînements du sort. Sans le zèle obtus de cet âne de Bersumée, Louis X,
à l’heure présente, eût été déjà en mesure de se remarier, Marguerite installée
en un couvent tranquille, et Marigny sans doute encore en liberté. Sinon même
toujours au pouvoir. Nul n’eût été acculé aux solutions extrêmes, et lui-même,
Robert d’Artois, ne se fût pas trouvé là, chargé d’exécuter une mourante.
    — Ce veuvage est nécessaire,
mais il doit s’accomplir dans le secret de la famille, lui avait dit Charles de
Valois.
    Et Robert avait accepté la mission,
pour cette raison d’abord qu’elle lui donnerait barre désormais et sur Valois
et sur le roi. De tels services se payent sans fin… Et puis le sort, à y mieux
regarder, n’était absurde qu’en apparence ; chacun, par les actes que lui
dictait sa propre nature, avait contribué à ce qu’il ne pût se dérouler
autrement. « N’est-ce pas moi qui ai commencé cette affaire l’année
dernière à Westminster ? Il me revient donc de la terminer. Mais aurais-je
eu à la commencer si Marigny, pour conclure les mariages de Bourgogne, ne
m’avait pas fait dépouiller du comté d’Artois au profit de ma tante
Mahaut ? Et Marigny, à cette heure, se morfond au Louvre. » Le destin
montrait quelque logique.
    Robert s’aperçut que tout le monde
dans la pièce le regardait, Marguerite de dessus son grabat, Bersumée qui se
frottait la mâchoire, Lalaine qui avait repris la cruche, le valet Lormet
adossé contre le mur dans la pénombre, le chapelain serrant une écritoire sur
son ventre. Ils semblaient tous stupéfaits de le voir méditer.
    Le géant s’ébroua.
    — Vous voyez, ma cousine,
dit-il, combien Marigny est votre ennemi, comme il est notre ennemi à tous.
Cette lettre volée nous en fournit une nouvelle preuve. Sans Marigny, je gage
que vous n’auriez jamais été accusée, ni jugée, ni traitée de la sorte. Ce
félon s’est ingénié à vous nuire, autant qu’à nuire au roi et au royaume. Mais
aujourd’hui, il est arrêté, et je viens recueillir vos griefs contre lui afin
de hâter à la fois la justice du roi et votre grâce.
    — Que dois-je déclarer ?
demanda Marguerite.
    Le vin qu’elle avait bu lui faisait
battre le cœur plus vite encore ; elle respirait de manière hachée, et se
tenait la poitrine.
    — Je vais dicter pour vous au
chapelain, dit Robert.
    Le dominicain en disgrâce s’assit
par terre, la tablette à écrire posée sur ses genoux ; la chandelle posée
à côté de lui éclairait d’en bas les trois visages.
    Robert sortit de son aumônière une
feuille pliée, portant un texte noté qu’il lut au chapelain.
    — « Sire, mon époux, je me
meurs de chagrin et de maladie. Je vous supplie de m’accorder pardon, car si
vous ne le faites pas vite…»
    — Un instant, Monseigneur, je
ne puis vous suivre, dit le chapelain ; je n’écris point comme vos clercs
de Paris.
    «… car, si vous ne le faites

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