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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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roi, et
les nota ; il s’approcha de la fenêtre, écarta le rideau et contempla les
toits de la ville éteinte. Les sergents du guet passaient dans la rue des
Fossés-Saint-Germain, répétant tous les vingt pas, de leur voix
machinale :
    — C’est le guet… Il est minuit…
Dormez en paix !…
    Comme toujours, ils étaient en
retard d’un quart d’heure sur l’horloge…
    Enguerrand fut réveillé à l’aube par
un grand bruit de bottes dans la cour, et de coups frappés aux portes. Un
écuyer, tout affolé, vint l’avertir que les archers étaient en bas. Il demanda
ses vêtements, s’habilla en hâte et, dans l’antichambre, se heurta à sa femme
et à son fils qui accouraient, bouleversés.
    — Vous aviez raison, Alips,
dit-il à madame de Marigny en la baisant au front. Je ne vous ai point assez
écoutée. Partez dès ce jour ainsi que Louis.
    — Je serais partie avec vous,
Enguerrand. Mais maintenant je ne saurais m’éloigner du lieu où l’on vous
imposera souffrance.
    — Le roi est mon parrain, dit
Louis de Marigny ; je m’en vais aussitôt courir à Vincennes…
    — Ton parrain est une pauvre
cervelle, et sa couronne lui flotte sur la tête, répondit Marigny avec colère.
    Puis, comme il faisait sombre dans
l’escalier, il cria :
    — Holà, mes valets ! De la
lumière ! Qu’on m’éclaire !
    Et quand ses serviteurs eurent obéi,
il fit entre les flambeaux une descente de roi.
    La cour était houleuse d’hommes
d’armes. Dans l’encadrement de la porte, une haute silhouette en cotte de
mailles se découpait sur le matin gris.
    — Comment as-tu accepté,
Pareilles… Comment as-tu osé ? dit Marigny en élevant les mains.
    — Je ne suis pas Alain de
Pareilles, répondit l’officier. Messire de Pareilles ne commande plus aux
archers.
    Il s’effaça pour laisser passer un
homme, en vêtements d’Église, qui était le chancelier Étienne de Mornay. Comme
Nogaret, huit ans plus tôt, était venu en personne se saisir du grand-maître
des Templiers, Mornay venait en personne, aujourd’hui, se saisir de l’ancien
recteur du royaume.
    — Messire Enguerrand, dit-il,
je vous prie de me suivre au Louvre où j’ai ordre de vous enfermer.
    À la même heure, tous les grands
légistes bourgeois du règne précédent, Raoul de Presles, Michel de Bourdenai,
Guillaume Dubois, Geoffroy de Briançon, Nicole Le Loquetier, Pierre d’Orgemont,
étaient arrêtés à leurs domiciles et conduits en diverses prisons, tandis qu’un
détachement était expédié vers Châlons pour y enlever l’évêque Pierre de
Latille, l’ami de jeunesse de Philippe le Bel, que celui-ci avait si fort
réclamé à son chevet dans ses derniers instants.
    Avec eux, c’était tout le règne du
Roi de fer qui entrait en forteresse.
     

V

LES ASSASSINS DANS LA PRISON
    Lorsque, en pleine nuit, Marguerite
de Bourgogne entendit s’abaisser le pont-levis de Château-Gaillard et retentir
dans l’enceinte les piétinements d’une chevauchée, elle ne crut point d’abord
que ces sons étaient vrais. Elle avait tant attendu, tant rêvé cet instant,
depuis qu’était partie sa lettre à Robert d’Artois, par laquelle elle
souscrivait à sa déchéance, renonçait à tous ses droits comme à ceux de sa
fille, en échange d’une libération promise et qui n’arrivait pas !
    Nul ne lui avait répondu, ni Robert,
ni le roi. Aucun messager n’était apparu. Les semaines s’écoulaient dans un
silence plus destructeur que la faim, plus épuisant que le froid, plus
dégradant que la vermine. Marguerite, à présent, ne bougeait presque plus de
son lit, souffrant d’une fièvre où l’âme avait autant de part que le corps, et
qui la maintenait dans un état de conscience trouble. Les yeux grands ouverts
sur les ténèbres de la tour, elle passait des heures à écouter son cœur battre
à coups trop rapides. Le silence se peuplait de rumeurs inexistantes ;
l’ombre était envahie de menaces tragiques qui venaient non plus de la terre,
mais de l’au-delà. Le délire des insomnies désorganisait sa raison… Philippe
d’Aunay, le beau Philippe, n’était pas mort tout à fait ; il marchait,
jambes brisées, ventre sanglant, à côté d’elle ; elle étendait le bras
vers lui et ne pouvait le saisir. Pourtant il l’entraînait sur le trajet qui va
de la terre à Dieu, sans plus sentir la terre, et sans jamais voir Dieu. Et
cette marche atroce durerait jusqu’au fond des temps, jusqu’au

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