La Reine étranglée
manquant son but,
allait s’épointer sur un mur, Louis reprochait alors à l’écuyer d’avoir lâché
la colombe au mauvais instant ou du mauvais côté.
— Sire mon neveu, dit Charles
de Valois, vous me paraissez plus habile aujourd’hui que jamais ; mais si
vous consentiez à interrompre un instant vos exploits, je pourrais vous
entretenir des choses bien plus graves que je vous ai annoncées.
— Quoi ? Qu’est-ce
encore ? dit le Hutin avec impatience.
Il avait le front moite et les
pommettes rouges. Il aperçut l’archevêque, et fit signe à l’écuyer de
s’éloigner.
— Alors, Monseigneur, dit-il en
s’adressant au prélat, est-il vrai que vous m’empêchiez d’avoir un pape ?
— Hélas, Sire ! répondit
Jean de Marigny. Je viens vous faire révélation de certaines choses que je
croyais commandées par vous et dont je suis durement peiné d’apprendre qu’elles
sont contraires à votre volonté.
Là-dessus, avec l’air de la
meilleure foi du monde et quelque emphase dans le ton, il rapporta au roi les
manœuvres d’Enguerrand pour retarder la réunion du conclave et faire échec à
toute candidature, aussi bien celle de Duèze que celle d’un cardinal romain.
— Si dur qu’il soit, Sire,
acheva-t-il, d’avoir à vous découvrir les mauvais actes de mon frère, il m’est
plus dur encore de le voir agir contre le bien du royaume, en même temps que
celui de l’Église, et s’appliquer à trahir tout ensemble son seigneur sur la
terre et le Seigneur du ciel. Je ne le tiens plus pour étant de ma famille,
puisque, quand on est homme de mon état, on n’a de vraie famille qu’en Dieu et
en son roi.
« Le bougre arriverait pour un
peu à vous tirer les larmes, pensait Robert d’Artois. Vraiment ce coquin-là
sait se servir de sa langue ! »
Une colombe oubliée s’était posée
sur la toiture de la galerie. Le Hutin tira une flèche qui, traversant
l’oiseau, fit bouger les tuiles.
Puis soudain s’emportant il
cria :
— À quoi donc cela me sert-il,
ce que vous me chantez là ? Il est bien temps de dénoncer le mal, quand il
est accompli ! Fuyez, messire archevêque, car je me courrouce.
Robert d’Artois entraîna
l’archevêque, dont la besogne était terminée. Valois resta seul avec le roi.
— Me voici en belle posture à
présent ! continuait celui-ci. Enguerrand m’a trompé, soit ! Et vous
triomphez. Mais cela m’avance-t-il, moi, que vous triomphiez ? Nous sommes
au milieu d’avril ; l’été s’approche. Vous vous rappelez, mon oncle, les
conditions de Madame de Hongrie : « Avant l’été. » D’ici à huit
semaines, m’aurez-vous fait un pape ?
— Honnêtement, mon neveu, je ne
le crois plus possible.
— Alors, il n’y a point motif à
vous faire si gros et tant vous rengorger.
— Je vous avais assez
conseillé, depuis l’hiver, de chasser Marigny.
— Mais puisque cela ne fut pas,
hurla Louis X, le mieux n’est-il pas encore d’employer Marigny ? Je
m’en vais l’appeler, le semoncer, le menacer ; il faudra bien qu’il
obéisse, à la parfin !
Aussi enragé que têtu, le Hutin en
revenait toujours à Marigny, comme à l’unique recours. Il arpentait la cour à
grands pas désordonnés, des plumes blanches collées sur ses souliers.
En vérité, chacun avait si bien
poussé son jeu personnel, le roi, Marigny, Valois, d’Artois, Tolomei, les
cardinaux, la reine de Naples elle-même, que tout le monde se retrouvait bloqué
dans une impasse, se meurtrissant réciproquement, mais sans plus pouvoir
avancer d’un pas. Valois s’en rendait bien compte, comme il se rendait compte
aussi qu’il lui fallait, s’il voulait garder l’avantage, fournir à tout prix un
moyen d’issue. Et le fournir vite…
— Ah ! Vraiment, mon
neveu, s’écria-t-il, quand je pense que j’ai été veuf par deux fois en ma vie,
et de deux épouses exemplaires, je me dis que c’est bien grande pitié que vous
ne le soyez point d’une femme éhontée.
— Certes, certes, dit
Louis ; si cette gueuse pouvait seulement trépasser…
Brusquement il s’arrêta de marcher,
regarda Valois, et comprit que celui-ci n’avait pas seulement parlé par
boutade, ou pour déplorer les injustices du sort.
— L’hiver fut froid ; les
prisons sont mauvaises pour la santé des femmes, reprit Charles de Valois, et
voici longtemps que Marigny ne nous a point informés de l’état de Marguerite.
Je m’étonne qu’elle ait pu
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