Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
Molay. Sa chaîne avait été rivée au même anneau où
l’on rivait naguère la chaîne du grand-maître, et le salpêtre portait encore
les marques faites par le vieux chevalier pour compter l’écoulement des jours.
    « Sept ans ! Nous l’avons
condamné à passer ici sept ans, pour ensuite l’envoyer brûler. Et moi qui ne
suis emprisonné que depuis une semaine, je comprends déjà tout ce qu’il a
souffert. »
    Le personnage d’État, des hauteurs
où s’exerce son pouvoir, protégé par tout l’appareil des tribunaux, de la
police et des armées, ne voit pas l’homme dans le condamné qu’il livre à la
prison ou à la mort ; il réduit une opposition. Marigny se souvenait du
malaise qu’il avait éprouvé tandis que les Templiers grillaient sur l’île aux
Juifs, en comprenant qu’il ne s’agissait plus alors d’abstraites puissances
hostiles, mais d’êtres de chair, de semblables. Un bref moment, cette nuit-là,
et se reprochant ce mouvement d’âme comme une faiblesse, il s’était senti
solidaire des suppliciés. Il se retrouvait tel, au fond de son cachot.
« Vraiment, nous avons tous été maudits pour ce que nous avons fait
là. »
    Et puis, une nouvelle fois, Marigny
avait été conduit à Vincennes, et pour y assister au plus sinistre, au plus
abject étalage de haine et de bassesse. Comme si toutes les accusations portées
contre lui ne suffisaient pas, comme s’il fallait à tout prix anéantir les
doutes dans les consciences du royaume, on se complut à le charger de crimes
extravagants, certifiés par un stupéfiant défilé de faux témoins.
    Monseigneur de Valois se faisait
gloire d’avoir découvert un vaste complot de sorcellerie, inspiré bien sûr par
Enguerrand. Madame de Marigny et sa sœur, madame de Chanteloup, avaient
pratiqué des envoûtements criminels sur des poupées de cire figurant le roi, le
comte de Valois lui-même et le comte de Saint-Pol. Ce fut, du moins, ce
qu’affirmèrent des individus sortis de la rue des Bourdonnais où ils tenaient
officines de magie avec la tolérance de la police. On traîna devant le tribunal
royal une boiteuse, d’évidence créature du diable, et un certain Paviot,
récemment condamnés dans une affaire similaire. Ils ne firent aucune difficulté
pour se déclarer complices de madame de Marigny, mais montrèrent un étonnement
douloureux quand leur fut confirmée la sentence qui les envoyait au bûcher. Les
faux témoins eux-mêmes, dans ce procès, étaient trompés !
    Enfin, l’on annonça le trépas de
Marguerite de Bourgogne, et, dans le grand émoi causé par cette nouvelle, on
donna lecture de la lettre que la reine, la veille de mourir, avait adressée à
son époux.
    — On l’a tuée ! s’écria
Marigny pour qui toute la machination alors s’éclaira.
    Mais les sergents qui l’encadraient
l’avaient obligé à se taire, cependant que Jean d’Asnières ajoutait ce nouvel
élément à son réquisitoire.
    En vain, les jours précédents, le
roi d’Angleterre était-il de nouveau intervenu par message auprès de son
beau-frère de France, l’adjurant d’épargner Enguerrand. En vain Louis de
Marigny s’était-il jeté aux pieds du Hutin, son parrain, le suppliant d’accorder
grâce et justice.
    Louis X, dès qu’on prononçait
le nom de Marigny, ne répondait que par ce seul mot :
    — J’ai levé ma main de dessus
lui.
    Il le répéta publiquement une
dernière fois à Vincennes.
    Enguerrand s’était alors entendu
condamner à la pendaison, tandis que sa femme serait emprisonnée et tous leurs
biens confisqués.
    Mais Valois continuait de
s’agiter ; il ne connaîtrait pas de répit aussi longtemps qu’il n’aurait
pas vu Enguerrand se balancer au bout d’une corde. Et pour brouiller toute
tentative éventuelle d’évasion, il avait assigné à son ennemi une troisième
prison, celle du Châtelet.
    C’était donc d’un cachot du Châtelet
que Marigny, dans la nuit du 30 avril 1315, contemplait le ciel à travers un
soupirail.
    Il n’avait pas peur de la
mort ; du moins s’entraînait-il à l’acceptation de l’inévitable. Mais
l’idée de la malédiction obsédait sa pensée ; car l’iniquité était si
totale qu’il lui fallait y voir, à travers et par-dessus la subite rage des
hommes, le signe manifesté d’une plus haute volonté. « Était-ce la colère
divine, vraiment, qui s’exprimait par la bouche du grand-maître ? Pourquoi
avons-nous tous été maudits, et

Weitere Kostenlose Bücher