La Reine Sanglante
accablé. En même temps, une colère furieuse se déchaînait en lui contre ce qu’il appelait un coup du sort : Marguerite mourant juste à ce moment-là !…
« Il me reste un jour ! gronda Buridan. Je puis trouver encore le moyen de sauver le père de Myrtille… »
Il faisait nuit.
Buridan et Bigorne, l’un désespéré, l’autre tout joyeux, arrivaient dans la rue Vieille-Barbette. Au loin, ils entendaient la rumeur de Paris qui pleurait et priait pour l’âme de Marguerite.
« Je le sauverai ! » répéta Buridan qui triomphait de son abattement.
Comme il pensait ces mots avec une ardeur de farouche obstination, il vit à deux cents pas de lui, dans la direction du Temple, une grande lueur de torches.
Était-ce la procession funèbre qui passait par là ?… Non !… Buridan, à la lueur des torches, distingua une masse de cavaliers qui s’avançaient au pas vers lui.
Il frissonna. Le pressentiment d’une catastrophe s’abattit sur lui. De ses yeux hagards, il contemplait ces cavaliers qui venaient du Temple, formidables sous leurs armures.
Il sentit que Bigorne le saisissait par le bras et l’entraînait derrière une haie, en murmurant :
« Alerte ! Ce sont les gens d’armes de Valois !… »
Et comme Buridan, haletant d’une insurmontable horreur, se demandait ce que signifiait cette sortie des troupes de Valois, Bigorne gronda à son oreille :
« Vous avez demandé la vie de Marigny à Valois ? Regardez, maître. Voici la réponse de Valois qui passe ! »
En effet, derrière les cinquante premiers cavaliers, venaient deux prêtres ! Derrière les deux prêtres, marchait le bourreau Capeluche ! Et derrière Capeluche, venait un homme pieds nus, vêtu d’une chemise, la corde au cou, un cierge à la main !… Et cet homme, c’était Enguerrand de Marigny !…
Tout aussitôt, venait le comte de Valois, à cheval, couvant son ennemi d’un sourire de mort. Puis, cinquante autres gens d’armes fermaient la marche.
Ce fut une vision terrible qui passa en quelques minutes.
Buridan, l’âme pleine d’épouvante, la bouche ouverte, les yeux exorbités, regardait sans pouvoir faire un pas ni un geste ; il était rivé au sol.
« Venez ! » dit Bigorne, lorsque le cortège fut passé.
Autour du Châtelet, c’était un fouillis de ruelles noires d’où s’exhalaient de fétides émanations.
Ce fut dans une de ces ruelles que Lancelot Bigorne conduisit Buridan.
Ils s’arrêtèrent devant une maison basse. Il n’y avait aucune fenêtre sur la rue. La porte était peinte en rouge ; solide, puissante, elle eût défié les madriers d’attaque avec ses armatures de fer. Elle était munie d’un judas.
Bigorne frappa violemment du poing dans la porte. Au bout d’un instant, le judas s’ouvrit et une figure bestiale apparut à travers le treillis qui la protégeait, vaguement éclairée par une lumière que l’habitant de cette maison tenait à la main.
« Allons, ouvre ! dit Bigorne. C’est moi qui t’ai parlé tout à l’heure, quand tu es sorti de Notre-Dame où tu as remisé ton gibier de demain matin.
– Bon ! » fit tranquillement la figure.
Buridan entendit grincer les verrous. La porte s’ouvrit. L’homme apparut, une forte dague à la main.
Buridan se signa d’un geste rapide et entra, suivi de Bigorne. L’homme referma la porte. Nous disons que Buridan fit le signe de la croix, car il était bon chrétien, et cette maison, c’était le logis du maître des hautes œuvres, cet homme, c’était Capeluche…
Le maître des hautes œuvres n’avait pas lâché la dague qu’il tenait à la main. Il interrogea ses visiteurs d’un regard :
« Me connais-tu ? fit Bigorne.
– Non, répondit Capeluche.
– Je suis Lancelot Bigorne…
– C’est possible…
– Moi, je suis Jean Buridan, que tu pendras peut-être un jour, car ma tête est mise à prix.
– C’est possible… »
Il y eut un instant de silence. Bigorne frissonnait, Buridan était calme. Capeluche demanda :
« Qu’est-ce que vous me voulez ?
– Tu vas le savoir, dit Buridan. Mais, réponds d’abord. Qu’est-ce que tu reçois pour chaque pendaison ?
– Tantôt plus, tantôt moins. Cela dépend du condamné, je veux dire de sa qualité. Bref, je me fais, bon an mal an, mille livres tournois. Tous les bourgeois de Paris n’en peuvent pas dire autant. Sans compter ce que me donne la ville de Paris pour l’exercice annuel de mes fonctions,
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