La Reine Sanglante
comme un rugissement de rage…
« Au Louvre ! dit-il.
– Au Louvre, soit ! » fit Bigorne.
Ils couraient dans la rue Saint-Martin, lorsque tout à coup, une église se mit à sonner le glas.
Une autre église, tout à coup, puis une autre sonnèrent le glas des morts, puis d’autres encore… toutes les églises de Paris sonnaient le glas !
« Oh ! murmura Buridan, que se passe-t-il donc ? Qu’importe, après tout ! reprit Buridan. Au Louvre ! Au Louvre !… »
Il allait s’élancer… À ce moment, du coin de la rue Saint-Martin déboucha un groupe pareil à une apparition de rêve dans la nuit qui s’épaississait.
Ce groupe comportait d’abord douze jeunes garçons vêtus comme des enfants de chœur qui eussent servi une messe des morts. L’un d’eux, qui marchait en tête, agitait sans cesse une sonnette au son grêle. Derrière, venait un moine colossal, la tête sous la cagoule noire et portant une croix énorme dont le christ était couvert de voiles noirs. Puis douze clercs en deuil, psalmodiant des prières. Puis un rang de six porteurs de torches. Puis douze hallebardiers, la pointe de la hallebarde tournée vers la terre. Enfin, le héraut-juré de la ville de Paris, monté sur un cheval noir que deux valets conduisaient en bride. Derrière, il y avait encore un rang de porteurs de torches, puis encore douze hallebardiers, et, enfin, la foule… La fantastique procession s’arrêta.
Le héraut, alors, un grand parchemin à la main, cria d’une voix forte, dans le silence :
« Nous, Louis, dixième du nom, comte de Champagne et de Brie, roi de Navarre, roi de France :
« Faisons savoir à tous et à toutes, à notre noblesse, à nos bourgeois et manants, à nos curés parisiens de notre bonne ville que des prières publiques seront dites à compter de ce jourd’hui et pendant un mois durant dans toutes les églises de notre royaume… »
Le héraut sonna de la trompe. Puis il prit un autre parchemin et cria :
« De par le roi !
« Nous, Jean-Baptiste Biron dit Bel-Air, crieur-juré de la ville de Paris, bachelier de l’Université, héraut prévôtal et royal ;
« Avec douleur et meurtri de cœur ;
« Faisons savoir à tous présents que lesdites prières ordonnées par notre sire le roi sont à l’effet d’obtenir la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Dieu, de Notre-Dame la Vierge et de messieurs les saints du paradis ;
« Pour l’âme de très haute, très noble, très puissante princesse Marguerite de Bourgogne, reine de France, épouse très vertueuse et très aimée de notre Sire Louis dixième ;
« Laquelle est morte dans la fleur de son âge, dans le Louvre royal, le soir de ce jour, vingt-deuxième de septembre de l’an de grâce 1314. »
Le héraut sonna de la trompe. Et, comme si c’eût été un signal, les cris de douleur, les lamentations éclatèrent. L’enfant de chœur agita sa sonnette. Les clercs crièrent :
« Priez, mes frères ! Priez, mes sœurs ! Priez pour la reine !… »
Et la fantastique procession passa dans la lueur des torches, dans cette rumeur de pitié, de gémissements, de désespoir qui bruissait sur Paris.
Pitié véritable, car Marguerite de Bourgogne était très aimée du peuple.
Gémissements et clameurs exagérés, car il n’était pas bon de paraître témoigner une douleur tiède pour une aussi auguste mort. Buridan était atterré.
« Morte ! gronda-t-il. Marguerite est morte ! Valois triomphe !…
– Et notre voyage au Louvre est inutile, seigneur capitaine ! dit Bigorne, qui reprit instantanément cette expression d’insouciance qui faisait le fond de sa physionomie. Croyez-moi, maître, vous vous obstinez à une besogne impossible. Le sire de Marigny est condamné, – et c’est justice, par tous les diables. Songez au nombre de malheureux qu’il a fait pendre pour s’enrichir ; songez que vos amis, vos frères, les d’Aulnay, ont mené, grâce à lui, une misérable existence, alors qu’ils étaient nés pour être de riches seigneurs. Je vous jure, maître, que si vous aviez réussi à sauver cet homme, c’eût été un crime dans votre vie…
– C’est le père de Myrtille ! dit le jeune homme.
– Quoi qu’il en soit, c’est fini. Marguerite est morte. Valois n’a plus rien à redouter de vous. Donc, il est maintenant inutile de vous obstiner. »
Buridan, revenant sur ses pas, s’était remis en marche vers la Courtille-aux-Roses. Il était
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