La Reine Sanglante
Bourgogne, l’a poussée dans l’abîme ; cet homme, l’amant de Marguerite, Sire, c’était l’ambassadeur du roi votre père à la cour de Bourgogne ; il s’appelle Charles, comte de Valois. »
– C’est vrai ! Tu sais ce secret. Mais en admettant que tu sortes d’ici vivant et que le roi t’entende, insensé, le roi ne te croira pas !… »
Buridan répondit :
« Le roi ne me croira pas, moi, c’est sûr ! car il imaginera que c’est là une simple vengeance de ma part…
– Alors ?… rugit Valois.
– Mais il croira la reine !
– La reine !… bégaya Valois, frappé de vertige.
– La reine prisonnière dans le Louvre ! La reine que le roi pourra interroger dès que j’aurai parlé ! La reine qui confirmera tout ce que j’aurai dit en fournissant les preuves !… »
Valois se leva : l’effroyable évidence lui sautait aux yeux ; il était perdu, si Buridan pouvait rejoindre Louis X.
« Misérable, bégaya-t-il, tu ne sortiras pas d’ici, car…
– Un mot ! Un dernier mot ! cria Buridan, qui d’un geste arrêta Valois prêt à frapper. Si je sors d’ici, monseigneur, vous avez vingt-quatre heures pour réfléchir ; si je ne sors pas, vous n’avez même pas une heure ; car en ce moment même quelqu’un attend que je sorte ; si ce quelqu’un ne me voit pas à l’heure convenue, il court au Louvre… Et ce quelqu’un, monseigneur, sera aussitôt reçu, car le roi le connaît… il s’appelle Lancelot Bigorne !…
– Lancelot Bigorne !… râla Valois.
– Votre ancien serviteur !… »
Il y eut une minute d’effrayant silence. Valois, effondré, la tête pleine de bourdonnements, agonisait de terreur. Son regard vitreux était rivé sur Buridan qui, de son côté, le contemplait avec une sorte de sombre pitié… Et ce silence, ce fut Buridan qui le rompit.
« Monseigneur, dit-il, Enguerrand de Marigny doit être conduit à la mort sous trois jours. Un jour est écoulé déjà. Il est en ce moment dix heures du soir. Je vous donne toute la journée de demain pour exécuter mes volontés. Demain soir, si à cinq heures Gautier et Marigny ne sont pas hors du Temple, à six heures, je suis au Louvre… je parle… le roi interroge Marguerite… la nuit prochaine, monseigneur, vous coucherez dans les cachots du Temple… »
Un soupir souleva la poitrine de Valois. De la tête, il fit un signe d’acceptation, puis il se laissa aller en arrière, privé de sentiment, en apparence.
Buridan se rapprocha, se pencha sur lui, le contempla un instant d’un étrange regard et murmura :
« Adieu, mon père… ! »
À la Courtille-aux-Roses, il fut saisi, embrassé, étouffé dans les bras de ses amis, délirants de joie.
« Corbleu ! Ventre du pape ! Tripes du diable ! hurla Guillaume en manière de conclusion, mettons-nous à table !…
– Je savais bien qu’il reviendrait ! » murmura Bigorne.
XLII
SUPRÊMES TENTATIVES
La journée s’écoula lentement.
À mesure que l’heure fixée approchait, Buridan sentait son impatience et ses terreurs s’exaspérer. Pourtant, il était impossible que Valois ne tînt pas parole, puisqu’il y allait de sa propre vie !…
À quatre heures, il décida de sortir.
Guillaume devait rester en surveillance devant le caveau où était enfermé Stragildo. Riquet devait rester dans le grenier du logis, afin de surveiller les abords de la Courtille.
Bigorne seul devait accompagner le jeune homme qui, ne tenant plus en place, s’éloigna une heure avant celle qu’il avait fixée lui-même.
« Un instant, dit Bigorne en le rejoignant. Supposez qu’à cinq heures Marigny et Gautier franchissent le pont-levis du Temple, que ferez-vous ?
– Eh bien, je m’avancerai à leur rencontre…
– Bon, fit Bigorne. Maintenant, supposez qu’à cinq heures, les portes du Temple ne s’ouvrent pas pour vous rendre Gautier… je ne parle pas de Marigny. Que ferez-vous ?
– J’attendrai jusqu’à six heures, dit Buridan, d’une voix altérée. À six heures, j’irai au Louvre.
– Vous y êtes bien décidé ?
– Certes !…
– Eh bien, nous irons ensemble… »
Lorsque, après une affreuse attente, cinq heures sonnèrent enfin, son cœur se mit à battre violemment… Les dernières ondulations sonores du bronze s’évanouirent… les minutes s’écoulèrent… le pont ne s’abaissait pas !…
Buridan se rongeait les poings.
Six heures sonnèrent !… Buridan eut
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