La Reine Sanglante
masque de la mort sur son visage tragique.
Cependant, après un instant de terreur nerveuse, la reine eut une exclamation de joie : elle venait de reconnaître le spectre… la femme si soudainement apparue…
« Mabel ! fit Marguerite.
– Oui, ma reine, c’est moi !…
– Que le Ciel te préserve et te bénisse, toi qui viens toujours à la reine dans les moments de danger et qui sembles, d’un souffle, d’un regard, écarter ces dangers l’un après l’autre.
– Madame, vous disiez que j’arrive toujours au moment où il faut écarter de vous quelque péril. Seriez-vous donc menacée en ce moment ?
– Oui ! fit la reine d’une voix sourde. Philippe, ce Philippe que j’ai fait jeter dans une oubliette, où il devait mourir… eh bien, par je ne sais quelle trahison, le roi a su que cet homme était dans un des cachots du Louvre… le roi l’a voulu voir… et, à cette heure, Philippe d’Aulnay lui parle peut-être… à moins que Stragildo ne soit arrivé à temps, ajouta-t-elle avec un sourire terrible.
– Stragildo n’arrivera pas à temps au Louvre, dit-elle.
– Que veux-tu dire ? gronda la reine en frissonnant.
– Je veux dire qu’au moment où je sortais de la royale forteresse pour venir ici, le roi se rendait au cachot n° 5…
– Je suis perdue !
– Je le crois ! dit Mabel avec un calme terrible.
– C’est bien, je vais au Louvre ; et là, je saurai si je puis me défendre ou si enfin ma destinée va s’accomplir. »
Mabel eut un geste qui arrêta Marguerite prête à s’élancer vers l’entrée de l’escalier tournant.
« Vous oubliez, dit-elle, que vous avez promis de m’accorder ce que je suis venue vous demander ?
– Que veux-tu donc ?
– La grâce de Buridan ! D’un mot, vous pouvez l’obtenir du roi. Un sourire de vous peut faire rentrer dans leurs antres les bêtes fauves déchaînées. »
La reine haletait. Un combat terrible se livrait en elle. Mabel la contemplait avec une si ardente expression d’espoir, que ses yeux, dans la nuit, paraissaient fulgurer.
« Dis-moi ce qu’il faut faire… maintenant que tu m’as mis cet espoir au cœur… oh ! je ne vis plus, vois-tu ! Sauver Buridan… le sauver seul… oui, tu m’y as fait songer… c’est le salut pour moi… car mon sort est lié au sien. »
Mabel parut se replier sur elle-même. Elle chancelait.
« Si vous tuez Myrtille, vous tuez Buridan ! Le pauvre enfant ! À la minute suprême de l’agonie, peut-être mourra-t-il encore avec un sourire de bonheur, s’il sait que Myrtille est sauvée ! Mais le condamner à vivre, madame, et lui faire savoir qu’elle est morte, elle… ah ! madame, plutôt bêtes fauves, plutôt l’incendie de la Cour des Miracles ! plutôt la corde du gibet ! »
Mabel râlait. Ses mains cherchaient les mains de Marguerite. Elle se courbait. Ses genoux se ployaient.
« Dis-moi pourquoi tu veux que Buridan soit sauvé ? »
Mabel tomba tout à fait à genoux, et, avec une infinie douceur, avec un accent de simplicité tragique, répondit :
« C’est mon fils !
– Ton fils, Buridan, ton fils !
– Mon fils ! » répéta Mabel, d’une voix plus ferme.
En même temps, elle se releva.
« Écoutez-moi, dit-elle. Bientôt, il sera trop tard pour moi, pour mon fils et pour vous. Je vous dis que Buridan est mon fils. Je vous dis qu’il faut le sauver et sauver aussi celle qu’il aime, sans quoi la vie ne serait pour lui qu’une agonie un peu plus longue…
– Mais, comment es-tu la mère de Buridan, voyons ?
– Il est juste que vous sachiez, en effet ! dit Mabel avec une étrange intonation. Vous disiez tout à l’heure que, sans doute, je n’ai jamais aimé. Eh bien, j’ai aimé ! Un jour, mon amant vint me voir dans la maison isolée où je m’étais réfugiée… À peine était-il entré que sa nouvelle maîtresse fit irruption…
– Le nom de cette maîtresse ?
– Vous allez le savoir comme le reste. Cette jeune fille, qui s’était livrée à mon amant, avait une âme passionnée ; son cœur vibrait, mais comme peut vibrer l’airain que rien n’amollit ; la jalousie était la marque de son esprit, mais une jalousie capable de crimes monstrueux… cette jeune fille, madame, se jeta sur moi et me poignarda… »
Marguerite jeta une sourde imprécation.
« Elle me crut morte !… continua Mabel. Mais je vivais ! je voyais ! j’entendais ! je comprenais ! Et je ne
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