La Reine Sanglante
assez misérable auberge où il était connu et dont l’hôtesse le reçut charitablement, tandis que le rôdeur, qui l’avait trouvé et pour ainsi dire sauvé, s’en allait essayer de vendre le poignard de Stragildo.
Au bout de trois jours, les blessures de Roller commençaient à se fermer. Il annonça alors à son hôtesse qu’il voulait partir. La bonne femme lui fit observer que c’était vouloir sûrement se tuer, mais Roller était têtu. De plus, il était dévoré d’inquiétude. En effet, Mabel lui avait donné rendez-vous dans le logis du cimetière et trois jours s’étaient écoulés depuis. Il s’habilla donc tant bien que mal, sortit en refusant toute aide et réussit à gagner le logis de Mabel. C’était le lendemain du jour où Mabel et Myrtille étaient sorties de Paris.
Le Suisse fit un effort d’énergie pour dompter la faiblesse qui s’emparait de lui et se mit à fouiller dans cette pièce qui avait été le laboratoire de Mabel au temps où elle préparait des philtres.
Au fond du coffre, Wilhelm trouva un fort rouleau de parchemins roulés et trois ou quatre écus d’or oubliés par Mabel. Le Suisse prit les écus et le rouleau de parchemins, enveloppés dans un papier sur lequel il y avait quelques lignes écrites.
Puis, trébuchant, se retenant aux murs, il descendit et se mit à longer le cimetière des Innocents en se dirigeant vers le Louvre. Le soir tombait.
Les environs étaient déserts.
Roller, pris d’une faiblesse, s’accota à un mur. Il sentit qu’il allait mourir.
« Mon Dieu, fit-il, une heure, je vous demande une heure. »
Mais au bout d’une cinquantaine de pas, il se sentit défaillir. Le malheureux comprenait que sa vie s’en allait avec son sang et qu’il allait payer cher son impatience de vengeance.
Ses genoux fléchirent et il tomba dans le ruisseau à l’instant où, par l’autre bout de la rue, apparaissait une troupe nombreuse de cavaliers.
Celui qui marchait en tête de cette troupe, le front penché, les rênes abandonnées, la poitrine gonflée de soupirs, semblait accablé sous le poids de sinistres pensées. Soudain, le cheval s’arrêta court.
Le cavalier parut s’éveiller d’un songe pénible et aperçut alors le blessé que son cheval avait failli écraser. Il allait passer outre lorsque quelques paroles qui montèrent jusqu’à lui le firent tressaillir.
Il mit pied à terre, se pencha sur le mourant et demanda :
« Vous dites que vous me reconnaissez ?
– Oui.
– Et que vous avez quelque chose de grave à me dire concernant le roi ?
– Oui.
– Parlez donc, je vous écoute. »
Mais maintenant Roller ne semblait plus décidé à parler. Il jetait un regard avide sur le cavalier, comme pour essayer, à cet instant suprême, de lire dans sa pensée.
« Est-il vrai, fit-il enfin, en rassemblant toutes ses forces, est-il vrai, monseigneur, que vous haïssez la reine comme je l’ai entendu dire au Louvre ?
– Tu me demandes si je hais la reine ?
– Oui ! je vous demande cela, et il n’y a qu’un mourant prêt à comparaître devant Dieu qui, si près de la Toute-Puissance du roi des rois, puisse assez oublier votre puissance terrestre pour vous poser une aussi formidable question. »
Les yeux du cavalier jetèrent un éclair :
« Eh bien, dit-il, on ne t’a pas trompé, je hais celle que tu dis. Parle, maintenant. »
Le mourant parut faire un dernier effort. Mais comprenant sans doute qu’il n’aurait pas le temps de parler longuement, il tendit le rouleau au cavalier :
« Prenez ceci… Oh ! j’aurais voulu le porter moi-même au roi… mais… puisque je… »
La parole expira sur ses lèvres, qui ne rendirent plus qu’un gémissement confus.
Le cavalier se redressa lentement et demeura debout, les yeux fixés sur le mourant.
Puis tout à coup Roller se souleva, jeta au cavalier un regard désespéré et retomba pour jamais immobile.
Le cavalier alors seulement jeta les yeux sur le rouleau de parchemins qui venait de lui être si mystérieusement remis et il lut : Mémoire de la dame de Dramans concernant des faits qui se sont passés dans la Tour de Nesle. Sans doute il comprit, car il devint aussi pâle qu’était pâle le cadavre à ses pieds.
Une dernière fois, il se baissa vers l’homme, le toucha au cœur, s’assura qu’il était mort, puis, cachant sous son manteau le rouleau de parchemins, remonta à cheval et poursuivit son chemin, plus pensif, plus
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