La Reine Sanglante
la pointe de sa dague, son impérieux :
« Monte ! »
Et la misérable, en effet, monta sur l’escabeau, et levant machinalement les yeux au ciel, peut-être en une suprême imploration, vit le nœud coulant qui se balançait mollement au-dessus d’elle, poussa un gémissement affreux et baissa vivement la tête pour échapper au nœud fatal.
Malingre, appelant à lui toute sa force, se précipita sur le piton autour duquel il enroula solidement la corde qui lui coupait les mains.
Puis il se campa devant le corps de sa victime et la contempla avec une joie féroce.
La pendue se débattait dans le vide ; ses doigts, instinctivement, cherchaient à se raccrocher au nœud qui l’étranglait, les veines se gonflaient, les yeux exorbitaient, la langue pendait, lamentable, hors de la bouche édentée ; elle était hideuse à contempler et ce fut bien là l’impression qu’elle produisit à Malingre, car il hocha la tête en disant à haute voix, comme si elle eût pu l’entendre :
« J’avais pourtant bien des choses à te dire encore… jusqu’à ton dernier souffle, tu auras donc trouvé le moyen de me jouer des tours de ta façon ? Mais enfin celui-là sera le dernier… Hou !… tu n’étais pas bien jolie de ton vivant, mais maintenant tu es hideuse… tiens, je ne peux pas supporter ta vue… tu me tournes le cœur. »
Et Malingre, effectivement, passa de l’autre côté du rideau.
XXXIV
OÙ SIMON MALINGRE MARCHE DE STUPEUR EN STUPEUR
Malingre avait déposé son épée et sa dague sur un bahut et tiré de son sein un poignard à lame courte, mais très large.
Tout en se livrant à ses occupations avec une parfaite quiétude, il marmottait :
« Cette enragée guenon qui me joue le méchant tour de trépasser avant que j’ai pu lui dire tout ce que j’avais sur le cœur !… Hé ! hé ! me voilà tout à fait riche maintenant ; le magot de la défunte Gillonne était bien garni, hé ! hé ! »
Cette pensée du magot l’amena tout naturellement à se tourner vers l’endroit où il avait posé la cassette.
Il resta bouchée bée, les yeux arrondis par la stupeur : la cassette qu’il avait laissée là, sur la table, quelques minutes avant, la cassette n’y était plus !…
Il se frotta les yeux comme pour s’assurer qu’il était bien éveillé et dit à haute voix :
« Voyons, voyons, je ne dors pas… j’avais bien laissé la cassette là ! »
Et il se mit à fureter partout, revenant toujours et malgré lui à la table, parlant tout haut, sans s’en apercevoir, répétant sans cesse :
« Pourtant, je l’ai laissée là… j’en suis sûr… je ne dors pas… je ne suis pas devenu fou. »
Il se mit à trembler de tous ses membres, ses cheveux se hérissèrent et il se sentit positivement devenir fou de terreur.
En effet, là, de derrière ce rideau auquel il tournait le dos, n’osant plus le regarder, de derrière ce rideau, une voix, la voix de Gillonne, Gillonne qu’il avait pendue de ses propres mains, il n’y avait pas un quart d’heure, la voix de Gillonne s’était fait distinctement entendre :
« Tu l’as dit, Simon… C’est moi qui t’ai repris mon bien ! Ah ! ah ! ah ! même la mort ne peut me séparer de mon or chéri, mon or que j’aimais au-dessus de tout… Tu peux chercher, tu ne trouveras rien !… j’ai repris mon bien, ah ! ah ! ah ! »
Alors, éperdu, stupide d’étonnement, à moitié fou de terreur superstitieuse, il clama désespérément :
« Arrière, fantôme… si tu as repris ton bien, je ne te dois plus rien… Laisse-moi… Je vais prendre mon bien à moi et si ce sont des prières que tu veux, eh bien, je consacrerai une partie de mon trésor en messes pour le salut de ton âme… mais laisse-moi.
– Ton trésor ?… Va, cours, cherche !… Si tu le trouves… »
Et il courut, en effet, comme la morte venait de le lui ordonner.
Et telle était, chez lui, la puissance de l’avarice, que l’idée ne lui vint même pas de fuir ces lieux qu’il croyait hantés.
Non ! la morte avait dit : « Cherche si tu trouves. »
Et la seule crainte qui le tenaillait maintenant était d’arriver trop tard.
Et, tout en courant vers le coin où, la veille, il avait enfoui son coffre, il grognait :
« Pourvu que je n’arrive pas trop tard !… Pourvu que la gueuse ne m’ait pas volé !… »
Et, en creusant le sol avec l’arme qu’il n’avait pas lâchée, poursuivi par cette
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