La Reine Sanglante
j’avais bien dit qu’elle avait dû mécontenter monseigneur. Vous ne serez donc jamais sérieuse, Gillonne ? Vous pouvez lui pardonner, monseigneur, car je vous réponds qu’elle obéira et marchera au doigt et à l’œil. N’est-ce pas, Gillonne ?
– Sans doute, répondit Gillonne, mon devoir est d’obéir à monseigneur… Quant à ma faute, je tâcherai de la réparer. »
Sur ces mots, Valois les congédia tous deux après avoir conféré un instant à voix basse avec Malingre, ce dont Gillonne se montra très inquiète.
XXXII
DEUX DÉMONS AUX PRISES
Lorsqu’ils furent installés tous deux dans le réduit qui lui avait été assigné au Temple, Gillonne fit signe à Malingre de s’asseoir et s’assit elle-même près d’une fenêtre donnant sur une cour intérieure et, prête à ameuter toutes les garnisons à la moindre velléité de violence, elle attendit que Malingre s’expliquât.
« C’est bien simple, dit Malingre, qui jouissait délicieusement de son trouble et de ses terreurs, monseigneur sait tout, je te l’ai dit ; me voyant perdu, j’ai songé tout d’abord à toi – tu vois, ingrate, s’il faut que je t’aime –, et j’ai pris mes dispositions pour te faire partager mon sort et, tu sais, de bonnes, de solides dispositions…
– Mais alors… il faut fuir… nous avons quarante-huit heures devant nous… nous avons le temps… Nous serons loin avant qu’on ait songé à se lancer à notre poursuite. »
Le petit œil sournois de Malingre eut une lueur sitôt éteinte.
« J’ai trouvé ! Voilà : nous allons abandonner les quelques nippes et hardes que nous possédons, tant ici qu’à l’hôtel, nous allons sortir d’ici les mains vides, chacun de notre côté. Toi, Gillonne, tu iras à l’hôtel et tu y prendras et emporteras tout l’or et les quelques bijoux que tu possèdes, et à sept heures, à sept, tu m’entends ?… tu viendras me retrouver à la Courtille-aux-Roses, où se trouve caché mon trésor à moi et où je t’attendrai dans la salle basse, au rez-de-chaussée.
– Là, que ferons-nous ? dit Gillonne, qui suivait attentivement ces explications, mais qui, néanmoins, n’avait pu réprimer un léger froncement de sourcils en entendant qu’elle devait emporter son or et ses bijoux.
– Donc, reprit Malingre, à la Courtille-aux-Roses nous ferons notre liquidation en honnêtes associés, et cette liquidation terminée, je te laisse à choisir entre : ou t’en venir avec moi en Flandre, où nous pourrons nous marier et vivre tranquilles, à l’abri de tout, grâce à nos deux fortunes réunies ; ou, une fois le partage fait, tirer chacun de son côté, et nous arranger chacun comme bon nous semblera. »
Gillonne paraissait réfléchir profondément et sans doute avait-elle trouvé quelque bon moyen d’échapper aux conditions imposées par Malingre, car elle répondit d’assez bonne grâce et en souriant :
« Je dis que ton plan m’agrée en tout point, que je ferai comme tu viens de l’indiquer et qu’à sept heures, je serai à la Courtille-aux-Roses avec toute ma fortune ; quant à ta proposition de nous unir… »
La mégère avait déjà ouvert la porte et se disposait à sortir, lorsque Simon la rappela.
« À propos, dit-il, j’ai oublié de te dire qu’à partir du moment où tu mettras les pieds dehors, deux hommes à moi, deux hommes sûrs, ne te quitteront pas plus que ton ombre.
– Ah ! » fit la vieille toute saisie.
Elle voulut protester de sa bonne foi et de son intention d’agir loyalement, mais les expirèrent dans sa gorge contractée ; elle ne put qu’ébaucher un geste de soumission et sortit enfin, raide, avec quelque chose de hagard au fond des yeux.
Malingre la suivit des yeux, puis resté seul, une flamme de triomphe dans ses petits yeux perçants, il se livra de nouveau à un accès de rire effrayant, bégayant dans ses hoquets :
« Ah ! ah ! ah ! comme je l’ai bien jouée… ah ! ah ! ah ! maintenant, je tiens la guenon dans mes filets… elle ne m’échappera pas. »
XXXIII
OÙ IL EST QUESTION D’UNE CASSETTE ET D’UN RIDEAU
Le soir même, à l’heure dite, Malingre dans la salle basse de la Courtille-aux-Roses, attendait Gillonne avec une impatience mélangée d’assurance et de doute.
« Oh ! elle viendra, murmura-t-il, elle viendra, j’en suis sûr… Elle sent qu’elle a besoin de moi pour fuir et puis je lui ai fait trop peur… elle ne peut
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