La Reine Sanglante
couloir, quelques hommes d’armes s’arrêtèrent, la dague au poing. Dans le cachot, un homme seul s’avança.
Puis cet homme frappa sur l’épaule de Gautier.
Gautier d’Aulnay redressa la tête, puis se releva, regarda l’étranger qui pénétrait dans cet enfer et le reconnut.
« Messire le roi, dit-il, voyez ce que vous avez fait de mon frère !… »
Louis X jeta sur le mourant un regard morne :
« Regarde ce qu’il a fait de moi !… »
Gautier examina le roi plus attentivement et, malgré lui, frissonna de pitié : le jeune monarque paraissait vieilli de trente ans. Ses cheveux avaient blanchi. Il était pâle, et, dans ses yeux, Gautier surprit la même expression de douleur étonnée qu’il avait vue dans les yeux de son frère.
Le pauvre Hutin se pencha sur Philippe agonisant.
« Sire, murmura Gautier, mon frère va mourir…
– Et moi ?… C’est la mort que je porte en moi. Il meurt au Temple. Moi, je mourrai dans la vieille forteresse qui est au bord de l’eau. Voilà toute la différence entre nous deux. Laisse donc, Gautier, car il faut que je sache ! »
La voix de Louis X avait-elle fait ce que n’avait pu faire la voix de Gautier ?…
Peut-être !…
Car, dans les yeux du mourant, une flamme d’intelligence s’avivait à cette suprême seconde. Et Philippe, réunissant ses dernières énergies, arriva à se soulever un peu, comme pour se rapprocher de celui qui lui parlait !…
« Me reconnais-tu ? demanda Louis, d’une voix qui tremblait. Reconnais-tu en moi ton sire ?
– Oui ! répondit le signe affirmatif de Philippe.
– Écoute donc, en ce cas ! Tu sais de quoi et de qui je veux parler ? Tu sais que je suis venu te parler de Marguerite de Bourgogne ?… »
Les yeux de Philippe rayonnèrent.
Mais, à ce moment, une voix sourde, avec un suprême accent de haine, derrière le roi, gronda :
« Marguerite de Bourgogne ! La ribaude de la Tour de Nesle !… »
Le roi se redressa d’un bond furieux, se retourna, rugit :
« Qui a dit cela ?…
– Moi, répondit Gautier d’Aulnay.
– Tu mens ! hurla le roi. Tu mens ! L’épouse du roi de France n’est pas ce que tu dis !…
– Écoute, Sire ! gronda Gautier, dont la tête s’égarait et qui serrait les poings. Je puis te le dire, moi ! car j’ai vu, j’ai entendu ! Je suis entré à la tour sanglante ! Je suis monté jusque dans la salle des orgies !… J’y suis monté avec Philippe, est-ce vrai, frère ?… »
Gautier se retourna vers Philippe et il demeura hébété de stupeur… Le mourant s’était mis debout !…
Sa main glacée s’abattit sur la bouche de Gautier.
Mais Gautier écarta la main.
Philippe tomba sur ses genoux ; il râlait.
« Un soir, continua Gautier, avec ce même rugissement de rage et de fureur, un soir, elle nous a fait venir à la Tour de Nesle ; entends-tu, Sire roi ? Marguerite, reine de France, Marguerite de Bourgogne nous a attirés dans ce repaire où elle en avait attiré bien d’autres avant nous… »
Louis X s’était appuyé au mur du cachot.
Il avait laissé tomber sa tête sur sa poitrine.
Il était immobile, comme s’il se fût pétrifié… il ne regardait ni Gautier, ni Philippe, il regardait en lui-même.
« Rappelle-toi, Philippe ! hurlait Gautier… Nous fûmes ensemble cousus dans un sac, entends-tu, Sire roi, ta Marguerite nous fit enfermer tout vivants dans un sac, et, du haut de la tour, nous fûmes jetés dans le fleuve. »
Un frisson d’horreur secoua le roi.
Il jeta un regard sur Philippe comme pour lui adresser une suprême interrogation.
Et il le vit qui levait le poing sur son frère…
Puis, tout à coup, Philippe s’affaissa : il était mort.
*
* *
Alors le roi se baissa, toucha le front de ce cadavre, puis se releva en disant :
« Il est mort… »
Un furieux éclat de rire secoua Gautier qui vociféra :
« Un de plus, un de moins, qu’importe ! S’il te fallait compter tous les cadavres que Marguerite de Bourgogne a semés sur sa route, tu deviendrais fou, Sire roi ! Va demander son secret à la Seine, elle te répondra peut-être combien d’amants assassinés elle a charriés !… Mort ! Mon pauvre Philippe est mort ! ajouta le géant dans une explosion de sanglots. Aujourd’hui son tour, demain le mien ! Tue-moi ! Car j’ai été ce que Philippe n’a pas voulu être ! J’ai été l’amant de la ribaude de la Tour de Nesle !… »
Le roi,
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