La Religion
n’est plus du tout un jeu, du moins pour les gens de ton espèce. Mon conseil, donc, serait de les sauter toutes les deux et de laisser le diable lever son tribut. Ce n’est que lorsque tout ceci sera terminé que tu en comprendras peut-être la signification. Et encore. »
Mattias ruminait cela quand ils pénétrèrent sur la piazza face à l’Infirmerie sacrée. Son attitude changea quand il aperçut le père Lazaro qui en sortait, descendant les escaliers.
« Attends, dit Mattias, j’ai un compte à régler. »
Il s’inclina devant Lazaro, qui, en retour, lui décocha un regard prudent.
« Père Lazaro, Mattias Tannhauser, de Messine. J’espère que vous ne me trouverez pas insolent, mais j’ai une faveur à vous demander. Dame Carla est désireuse d’apporter quelque réconfort aux blessés, fait que vous n’êtes pas sans connaître, et pourtant on lui dénie toute opportunité de servir. J’espérais que vous et moi nous pourrions arriver à un accord en cette affaire.
– Soigner les malades est le travail le plus sacré de l’ordre, et ce n’est pas un sujet susceptible d’un quelconque accord, dit Lazaro. De toute manière nous sommes les seuls à posséder le savoir-faire nécessaire.
– Quel savoir-faire faut-il pour tenir la main d’un homme et lui murmurer quelques mots d’espoir ?
– C’est une femme.
– Le son d’une voix de femme donnera à un homme de bien meilleures raisons de vivre que toutes vos potions et vos élixirs mélangés ensemble.
– Nos hommes survivront par la prière et la grâce de Dieu, dit Lazaro.
– Alors c’est Dieu qui vous envoie la comtesse. Elle a passé la moitié de sa vie à genoux.
– Aucune femme n’est admise dans l’Infirmerie sacrée.
– La seule chose qui les en exclut, c’est votre fierté – ou devrais-je dire votre vanité ? »
Face à cette effronterie, le moine resta bouche bée. « Devrions-nous ouvrir les portes à toutes les femmes du Borgo ?
– Vous pourriez faire pire, dit Mattias. Néanmoins, ce ne serait pas un grand exploit de faire une exception pour une aristocrate comme elle. »
Lazaro semblait décidé à ne pas plier. Mattias posa une main sur l’épaule du moine. Lazaro tressaillit, comme si personne n’avait jamais, de sa vie, osé prendre cette liberté. « Mon père, vous êtes homme de Dieu, et si vous voulez bien me pardonner, avancé en âge. Vous ne pouvez pas imaginer ce que la vue – la présence, le parfum, l’aura – d’une belle femme peut faire pour le moral d’un combattant. »
Lazaro leva les yeux vers le visage barbare et buriné surplombant le sien. « J’aurais aimé éviter de soulever cette objection, mais j’ai entendu dire que dame Carla n’est pas aussi pieuse que vous l’affirmez. »
Mattias leva un sourcil, comme pour l’avertir. « Vous avez un avantage sur moi, père.
– Ne vit-elle pas avec vous en état de péché mortel ?
– Vous me décevez, père, dit Mattias. Amèrement, si je peux me permettre. »
La bouche de Lazaro se recroquevilla en quelque chose qui ressemblait à un anus de mouton. Mattias jeta un coup d’œil à Bors, qui se détourna pour étouffer un rire.
« De tels ragots sont sans fondements et pernicieux, poursuivit Mattias. Moïse lui-même n’a-t-il pas établi que le faux témoignage était un crime ? » Ses yeux s’assombrirent. « Je ne porte pas moi-même un nom qui vaille qu’on le défende, mais, en tant que protecteur de la dame, je vous déconseillerais de telles insinuations sur son honneur.
– Ce ne serait pas vrai, donc, dit nerveusement Lazaro.
– Je suis choqué que les frères puissent entretenir de tels potins salaces. »
Lazaro, quelque peu embarrassé, offrit une faible défense. « Peut-être ne le savez-vous pas, mais la dame a quitté cette île en pleine tourmente.
– Elle me l’a raconté elle-même, car elle est tout à fait dénuée de fourberie. La honte à laquelle vous faites allusion – et il y en avait pas mal à l’époque – était due à d’autres, bien plus puissants qu’elle. De plus, c’était il y a longtemps. Votre piété est-elle si exorbitante que vous ayez abandonné le message de pardon du Christ ? Oseriez-vous bannir Marie Madeleine du pied de la Croix ? Honte sur vous, père Lazaro. » Comme Lazaro pliait sous cette tirade, Mattias recula d’un pas et adoucit le ton de sa voix. « Si vous choisissiez de vous montrer
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