La Religion
serf ! »
Orlandu restait bouche bée, déchiré maintenant entre le ravissement et la honte. Sa bouche se ferma et s’ouvrit. Pendant ce temps, le balourd se releva difficilement, avant de filer en trébuchant. Tannhauser descendit de cheval. Il ne pouvait plus retenir son sourire.
« Viens ici, garçon. » Il ouvrit les bras. « Et raconte-moi comment tu t’en sors. »
Lorsque l’excitation et la joie d’Orlandu furent enfin réduites au degré où il pouvait obéir à un ordre, Tannhauser lui dit : « Je pense qu’il est temps que tu annonces ma présence à la dame de ce manoir. » Il ajouta : « Ensuite, occupe-toi de Buraq, et laisse-nous en paix jusqu’à ce que je t’appelle. »
Tannhauser choisit de prendre un siège dans le jardin du château, où il profita de la fin du jour en respirant les senteurs des fleurs et des arbres fruitiers, réfléchissant à la luxuriance qui abondait partout alentour. Il y sentait la présence de Carla, cette étrange aura, mélange de contrôle et d’abandon imminent, qu’elle diffusait autour d’elle. Une femme qui avait des biens et du goût. Il chercha des taches sur ses vêtements et se trouva présentable. Un certain temps passa, et il se sentit un brin inquiet. Il avait été certain de l’accueil chaleureux du garçon ; mais, de Carla, il en était moins sûr. Elle avait eu quantité de temps et de tranquillité pour réfléchir à la folie d’une association avec quelqu’un comme lui. Le charme de Carla avait pu lui faire traverser un continent, mais le pouvoir de son propre charme était grand ouvert à tous les doutes.
Des notes de musique s’élevèrent soudain du manoir derrière lui. Une viole de gambe. Cela commença avec grande délicatesse, peut-être hésitation, puis elle trouva ses ailes et monta, tournoya et plongea avec une liberté majestueuse. Et Tannhauser fut envahi d’un immense bonheur, aussi grand que ceux qu’il avait ressentis avant, car cette musique était la voix du plus profond du cœur de Carla, et elle jouait pour lui.
Quand la musique s’interrompit, il rassembla ses propres morceaux, se leva, et Carla apparut dans l’allée du jardin, venant l’accueillir. Elle était toujours aussi élégante, voire même aussi attirante que la première fois qu’ils s’étaient rencontrés, mais cette fois ses cheveux tombaient librement sur ses épaules et il émanait d’elle une exubérance qu’il n’avait jamais vue auparavant. Sa beauté ne s’était ternie en rien ; elle avait même fleuri. Elle souriait, comme si elle avait envisagé un moment tel que celui-ci, mais sans y croire vraiment.
« Vous n’avez pas perdu votre toucher, dit-il. Sublime. Si je peux dire, à la fois en art et en apparence. »
Carla inclina la tête pour le remercier.
Pendant un moment, ils ne firent que se regarder.
« Comme tu le vois, dit-il enfin, une fois de plus je suis impuissant à résister à ton appel.
Elle dit : « J’espère qu’il en sera ainsi pour toujours. »
Ses yeux verts brillaient. Elle sourit. Elle balança ses cheveux. Il avait perdu tous ses mots. Qu’avait-il voulu lui dire ? Tant de choses. Mais par où commencer ? Ils restaient là à se regarder. Le silence s’allongeait. Il tendit le bras et elle lui donna sa main. Le charme de ce toucher le fit frémir. Les doigts de Carla serrèrent les siens et il vit qu’elle ravalait l’émotion qui montait dans sa gorge. Son impulsion lui dictait de l’attirer contre lui, et d’écraser ses lèvres sur les siennes, et qu’ils se soumettent à des instincts endormis depuis trop longtemps, qui rugissaient pour prendre enfin vie. Pourtant il résista. Leur dernier baiser avait été volé à un monde gavé d’horreur. Et même si l’horreur, le feu et la folie devaient, pour toujours, faire partie du ciment qui les liait, il voulait que leur premier baiser ici, dans un monde plus doux, soit libre de toute ombre. Or, il y avait une ombre, celle d’une passion inoubliable, et d’un esprit qui devait être honoré avant qu’ils ne soient libres. L’esprit de celle qu’ils avaient tous deux aimée, et qui les aimait encore.
Il dit : « Je t’avais fait une promesse que je voudrais tenir. »
Dans le jardin s’étendait un lit de roses blanches et rouges, que Tannhauser avait immédiatement remarqué après qu’Orlandu l’avait laissé seul. Il la mena par la main le long du sentier et s’arrêta devant les
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