La Religion

de naissance. L’illégitimité était un sujet épineux dans cette communauté, où une fierté bourrue était de mise chez les Maltais et où les hautes réputations, surtout en ce qui concernait la piété, étaient jalousement protégées parmi les chevaliers. Et pour enterrer les délits sexuels de ses serviteurs célibataires, l’Église romaine profitait d’une expertise affûtée pendant un millénaire de pratique courante.
    « Je saurai que c’est lui quand je le verrai », avait affirmé Carla. Mais s’il en était ainsi, elle ne l’avait donc pas encore vu. Tannhauser avait scruté tous les visages pas lavés, cherchant des échos de Carla et Ludovico. Un jour, il repérait une demi-douzaine de jeunes qui évoquaient parfaitement les traits de l’un ou de l’autre ; le lendemain, les mêmes physionomies rendaient sa crédulité risible. Il avait même vu des garçons qui auraient pu passer pour les fruits de sa propre semence. Et tout cela en admettant que le garçon était encore ici plutôt que mort depuis longtemps, ou livré à la pédérastie dans un bordel libyen ou le lit d’un cardinal. Tannhauser avait envisagé de dire à Carla qu’il avait découvert la pierre tombale du garçon dans un cimetière perdu loin au-delà des remparts. Quel chagrin pourrait-elle ressentir envers un être si abstrait ? Mais ce serait la défaite, plus que le chagrin, qui mouillerait ses yeux et il ne voulait en rien éteindre leur lueur, surtout avec un mensonge. Carla semblait voir sa vie comme un conte sur la reddition sans résistance ; les forts rechignaient toujours à pardonner ou à expliquer leurs échecs. Sa quête du garçon était la dernière bataille de Carla. Si elle la perdait, il craignait qu’elle n’ait jamais le cœur d’en livrer une autre, et il détesterait voir cela.
    Il fit passer une pleine bouchée de rognons avec une lampée de vin. Il réfléchissait à une tromperie alternative, inspirée par Amparo, tandis qu’il se bataillait avec les boutons de sa robe à son retour de la conférence de minuit. Il s’agissait de substituer un imposteur pris parmi les nombreux orphelins de la cité. Elle s’était liée d’amitié avec un vagabond des quais et avait demandé si elle pouvait le lui présenter. Il serait assez facile de gagner la confiance d’un tel garçon, de lui démontrer les avantages d’un tel stratagème, et de lui faire revendiquer la date de naissance appropriée, qui pourrait être validée grâce à un simple faux rajouté dans l’un des registres paroissiaux qu’il avait trouvés. Tout le monde serait content, et ils pourraient tous s’échapper promptement de cette île de folie et de mort.
    Il se retrouva en train de considérer le dernier morceau dans son assiette avec une soudaine envie de vomir. L’honneur était une calamité monstrueuse. Il menait à la destruction plus certainement qu’aucun vice. L’amour et le respect des femmes étaient encore pires, étant capables de gâcher un excellent petit déjeuner entre autres choses. Il fit signe à Nicodemus d’apporter le café. Il prit une petite gorgée du savoureux breuvage et attendit que sa bonne humeur revienne. Il n’avait pas encore été jusqu’à Mdina, l’ancienne capitale de l’île. La Valette restait en contact avec sa garnison, grâce à ses fameux éclaireurs maltais, mais le voyage était hasardeux. Néanmoins, le garçon était né à Mdina et il fallait y aller. Si le voyage s’avérait aussi infructueux que les autres, il n’aurait plus qu’à persuader Carla que sa quête était terminée.
    Des deux mains, il se frotta le visage. Son seul désir présent était de retourner au lit et dans les bras d’Amparo, mais c’était un désir similaire qui, depuis le début, l’avait précipité dans ces épreuves. Carla lui avait demandé de l’amener à Malte et il l’avait fait, et plus encore. Il avait remis quelque couleur sur ses joues. Il lui avait fait goûter à l’aventure. Ils avaient échoué, mais avec honneur. Dans ces conditions, elle pourrait certainement calmer ses démons. Il avait apporté des agnelles dans un repaire de loups et cela lui pesait terriblement. Désormais, son obligation était assurément de les en faire sortir. Allait-elle lui dénier son titre de noblesse par mariage ? Il avait négligé de spécifier cette circonstance dans les détails de leur pacte : une évidence de plus de sa stupidité face à une