La Religion
toujours, même en se sentant d’humeur sinistre. Elle se souvint de son rêve dans la chambre et s’en trouva très déconcertée. Elle détourna les yeux.
Mattias continuait, nullement intimidé, tout en étalant sur son pain de l’huile prise dans le bocal d’olives. « Je suis informé de source sûre, la haute autorité de Petrus Grubenius, que l’abstinence permet aux humeurs nocives de s’accumuler, surtout dans la rate. C’est cela qui provoque la férocité de ces chevaliers, par exemple, et qui rend tant de moines revêches ou pernicieux. Je suis moins certain de ses effets sur les femmes, mais bien que le sexe faible soit vraiment une création à part, je hasarderais qu’à cet égard leur nature n’est pas si différente de celle des hommes.
– Je ne parlais pas de faire l’amour. » Il la regarda comme s’il savait que ce n’était pas tout à fait vrai. « Mais plutôt de l’amour, poursuivit-elle.
– La différence est souvent discutable ; pour les femmes, presque toujours, oserais-je dire. Mais vous, en tant que femme, devez le savoir mieux que moi. »
Carla ne trouvait pas de réponse. Elle était certaine qu’il pouvait voir au travers de sa piété frauduleuse. Elle qui, dans son rêve, avait pris son membre dans sa bouche avec un bonheur absolu si vivace. La tension entre sa nature érotique et sa nature religieuse, toutes deux si puissantes, effaçait toutes ses pensées. Elle fixait le fromage qu’elle tenait, et pour lequel elle avait perdu tout appétit.
« Si je vous ai offensée, dit Mattias, sachez que ce n’était pas intentionnel ; mais nous sommes assis à quelques pouces de notre propre mort. Si nous ne pouvons pas parler ouvertement ici, alors vous devez me dire où et quand nous pourrons le faire. »
Ce défi et sa logique propre rallumèrent le courage de Carla. « Est-ce que j’apparais revêche, féroce ou pernicieuse ? »
Il souleva ses sourcils. « Pernicieuse, jamais. Revêche ? Une fois, peut-être, mais plus aujourd’hui. Vous avez désormais une vocation, et cela aussi peut drainer les humeurs néfastes, bien qu’à un moindre degré, si je puis m’exprimer ainsi. » Elle se rendit compte qu’il arborait un large sourire en regardant l’expression de son visage. « Quant à la férocité, continua-t-il, cette qualité, comme auparavant, s’écoule dans votre satanée viole de gambe.
– Pourquoi satanée ?
– Parce qu’elle m’a entraîné par deux fois chez Hadès, et que, cette fois-ci, je ne parviens pas à entrevoir la sortie.
– Pourquoi avoir abandonné vos amis turcs ? Vous étiez en sécurité.
– Comme je viens de dire, votre chant des sirènes m’a appelé dans la nuit.
– Vous avez dit également que nous pouvions parler ouvertement, ce qui, je pense, voulait dire sans crainte. Vous dites que ma musique vous a ému, et j’en suis honorée, mais la musique seule ne peut pas être une cause ni un but, de même que votre ambition la plus chère non plus.
– Vous m’avez fait venir ici », dit Mattias. Il la contemplait. Elle attendait qu’il avoue une folie égale à la sienne. Il dit : « Mon ambition reste de vous voir retrouver votre fils. Et bien plus encore maintenant que je sais qu’il est un garçon splendide et, si j’ose dire, un ami et un frère d’armes. »
Il parlait du fond du cœur et elle était émue. Et pourtant. Elle se trouvait insouciante de ressentir plus d’amour pour l’homme que pour le garçon. Elle enviait la profondeur de la relation de Tannhauser avec Orlandu, qu’elle connaissait à peine, en fait. Elle ravala ces sentiments, ainsi que sa déception, et ne dit rien.
« Cette course s’est avérée plus formidable que je ne l’imaginais, et c’est un euphémisme, dit-il. Les choses semblent vouloir devenir plus épineuses encore, mais l’obstination a son utilité et je répugne à céder au désespoir. Comme vous le savez, Orlandu est en sécurité chez mon protecteur, Abbas bin Murad, commandeur des Bannières jaunes, et homme d’une rare sagesse et d’une rare gentillesse. Tôt ou tard, Orlandu sera emmené à Istanbul, et là je le retrouverai, et nettement plus facilement que je ne l’ai fait ici. » Il leva une main vers le tumulte. « Le problème auquel nous sommes confrontés, c’est de trouver un moyen d’échapper à cette folie. »
Pendant un moment, Carla resta stupéfaite. L’idée elle-même n’avait aucun
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