La Religion
« Asalaamu Alaykum » , dit Tannhauser. Il ajouta : « Qu’Allah vous garde. »
En s’éloignant, il aperçut les feux de veille sur le Corradino, et fut tenté d’y aller pour voir Orlandu et peut-être partager son feu aussi. Mais il avait déjà poussé sa chance bien assez loin, et l’aube n’allait pas tarder. Laisse le garçon dormir. Lui aussi avait besoin de repos. Son retour jusqu’à la porte de Kalkara se passa sans incident. Bors couvrait son approche et ouvrit la poterne. Avant qu’il n’aille voir Starkey pour lui livrer les renseignements les plus récents, Tannhauser expliqua ce qu’il avait découvert. Bors était sceptique.
« La route de Zonra sera ouverte ?
– Le bateau attend juste qu’on le prenne, lui assura Tannhauser. Il est temps de ramasser notre opium et nos bijoux. Nous ferons voile demain à la nuit.
– Il n’y a que l’ultime assaut de Mustapha qui s’oppose à nos plans.
– J’ai livré plus d’ultimes batailles que je n’ai pu en compter sur cette île sanglante. Aie la foi, homme, et ce sera vraiment la dernière pour nous, même si ce n’est pas le cas pour qui que ce soit d’autre. »
SAMEDI 1 er SEPTEMBRE 1565
Le bastion d’Allemagne – L’Infirmerie sacrée
– Le poste de Castille
À L’AUBE, comme toujours à l’heure exacte de l’appel du muezzin, le cent troisième captif musulman du siège fut balancé au bout d’une corde graisseuse, au-dessus de la porte Provençale. Cela faisait plusieurs semaines que l’on prêtait assez peu d’attention à ce rituel, dans un camp comme dans l’autre – les victimes exceptées –, mais s’il n’avait pas eu lieu, la consternation aurait été aussi grande que si un drapeau de reddition, et pas un corps humain, avait été accroché au-dessus de la porte. Ce matin-là, alors que la garnison se préparait à sa perte, le génie de cette pratique macabre frappa une fois de plus Tannhauser, car, quand la corde se tendit en claquant, un énorme hurlement s’éleva sur les remparts, de joie et de défi.
La potence ainsi dûment regarnie, une messe fut dite à l’église de San Lorenzo pour la délivrance de l’île. À la même heure, des chapelains répartis tout le long de l’enceinte dirent la messe pour la soldatesque. Dans l’infirmerie, et sur la piazza étouffante de douleur, d’autres chapelains firent de même pour les souffrants. Le service était solennel et pourtant, comme lors du dernier jour du fort Saint-Elme, un calme étrange envahissait toute la population. Il n’y avait plus rien à craindre. La seule tâche qui demeurait était celle de mourir. Quand le dernier amen s’éleva vers les cieux, La Valette frappa un nouveau coup de maître.
La croix d’argent de l’ordre fut portée en procession dans l’allée centrale de San Lorenzo, et derrière elle venait la sainte icône de Notre-Dame de Philerme. Quand l’icône passa, beaucoup virent de vraies larmes couler sur les joues de la Madone. Certains s’évanouirent d’extase. Puis vint le glaive de saint Pierre, le couvercle de son coffret ouvert, pour que les plus chanceux puissent entrapercevoir l’héroïque relique qu’il contenait. Et en dernier passa ce que la Religion avait de plus précieux, la main droite de Jean le Baptiste, enchâssée dans un reliquaire orné de pierres précieuses. Une garde d’honneur de chevaliers pris dans chacune des huit langues fermait la marche, menée par La Valette lui-même.
La procession quitta l’église et s’avança dans les rues dévastées, passant par l’infirmerie et la fragile ligne de défenseurs répartie sur les murailles et les bastions. Tous firent une génuflexion et un signe de croix quand les reliques sacrées passèrent, et chacun sentit le pouvoir de Jésus-Christ, de Notre-Dame, de saint Pierre et du Baptiste enflammer son cœur. L’idée que ces chiens musulmans puissent profaner la main de saint Jean nourrit la rage et décupla la force de chaque soldat chrétien sur les remparts. Et quand la procession reprit le chemin de San Lorenzo, le moral de la garnison décimée était aussi inébranlable qu’à n’importe quel moment du siège.
Enclin à des formes d’adoration plus indignes, Tannhauser manqua les rites eucharistiques ; mais, tandis qu’il cherchait Carla avec Amparo à ses côtés, il eut un aperçu de la grande procession qui passait, et il s’émerveilla de ce qu’une pièce de théâtre
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