La Religion
une fois de plus, à la lueur évanescente des flammes, la potence gravée. Les torches s’éloignèrent du bord de son morne habitat, et avec elles toute lumière.
Tannhauser décida de prendre cela joyeusement.
Et pour un moment, au moins, il en avait les moyens. Il glissa une pierre d’immortalité sous sa langue. Il modela les deux autres en cônes, puis les enfonça dans ses oreilles pour les mettre en sécurité et les garder à portée de main. Les saveurs âcres d’opium, de citrus et d’or emplirent sa bouche. Leur amertume le rassura, sans qu’il sache bien pourquoi. Puis la porte menant à la Gouve se referma avec bruit ; et une obscurité absolue descendit sur lui, et avec elle un immense silence qui était à peine moins profond.
C INQUIÈME PARTIE
DES ROSES ROUGE SANG
JEUDI 6 SEPTEMBRE 1565
La cour de justice – L’oubliette
LUDOVICO ÉTAIT ASSIS sur le trône du grand inquisiteur, dans la chambre du tribunal de la cour de justice. Ici des âmes étaient purifiées et la destinée temporelle des coupables, autant que des innocents, était déterminée et fixée. La beauté de la loi repose dans sa pureté, la clarté de son instruction et de son but, dans une exclusion absolue de tout sentiment. À l’intérieur de ses cours, toute confusion et tout doute étaient vaincus en faveur de la décision, bonne ou erronée. Et tant que cette pureté, ce processus étaient honorés, toute erreur eu égard à la justice était du domaine de l’éternité. Pourtant quelle loi pouvait éradiquer son propre doute, sa propre confusion, sa propre culpabilité à lui ?
Il était seul. Des rais de lumière venant des fenêtres face au sud tombaient sur les bancs vides et rebondissaient en flaques hasardeuses reflétées par le chêne verni. Là, sur le siège du pouvoir, il ruminait sur son impuissance. Son corps était perclus de blessures. Son cœur souffrait de blessures plus obscures, moins directement curables et bien plus lourdes à porter. Le visage de Carla, ses yeux le hantaient. Les théories d’Apollonides étaient-elles vraies ? Ces yeux l’avaient-ils ensorcelé ? Devait-il la livrer aux flammes pour y mettre un terme ? En vérité, aucun poison ni aucune fièvre ne pouvait lui faire endurer une souffrance si diabolique. Il n’avait ni conseiller ni confesseur. Face à cela il était sans un ami. Il pressentait que le seul dont la sagesse aurait pu le guider était celui qui était confiné dans le puits le plus obscur de toute la chrétienté. Mais s’il existait quelque chose comme une Gouve de l’esprit, Ludovico était emmuré dedans.
Le personnel de la cour de justice avait été soit évacué, soit enrôlé, et l’entièreté des lieux était livrée au bon vouloir de Ludovico. Il avait séparé ses prisonniers, chacune des femmes dans une chambre plus ou moins confortable, et la brute anglaise grotesque dans un cachot des sous-sols. Il n’avait vu aucun d’eux depuis leur arrestation. Dans le cyclone de contradictions qui consumait son esprit demeurait pourtant un œil de tranquillité. Il renfermait deux mots. Patience et temps. Ludovico avait attendu des semaines. Il avait attendu des années. Il pouvait supporter quelques jours supplémentaires.
Les Turcs avaient maintenu un certain taux de tirs de mousquets, bombardements, mines et escarmouches. Après l’incroyable résistance du 1 er , une atmosphère de semi-désespoir avait envahi la cité, car cette nouvelle victoire n’était vite devenue qu’un nouveau répit, obtenu à un prix tragique. Une seule question agitait les esprits du haut commandement : Où est Garcia de Toledo ? Les renforts promis avaient plus de deux mois de retard. Où étaient les chevaliers des lointains prieurés de l’ordre qui devaient se rassembler en Sicile durant tout l’été ? Le vice-roi était-il réellement satisfait de laisser Malte tomber ?
Puisque les suppliques du grand maître avaient visiblement eu peu d’effet, Ludovico avait envoyé à Messine, quelques semaines auparavant, son propre messager maltais, un cousin de Gullu Cakie. Il portait deux lettres pour un familier de confiance de la haute noblesse sicilienne. Une des lettres devait être ouverte seulement si Malte tombait faute de l’aide de Toledo. Elle contenait matière et instructions qui provoqueraient la chute et la disgrâce du vice-roi. La seconde lettre devait être remise à Toledo en mains propres.
Cette
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