La Revanche de Blanche
tourne vers Molière. Le 11 mars 1672, la Cour, au grand complet, se rend au Palais-Royal pour l’événement de la saison : la première des Femmes savantes. Les anciennes Précieuses n’ont pas oublié le scandale des Précieuses ridicules , mais elles sont là, piquées par la curiosité. Dans une loge discrète, un loup sur le visage, Blanche a du mal à cacher sa joie. Elle serre la main de Ninon, sa chère complice. Au balcon, Charlotte de Bouillon et Aglaé cancanent. Mmes de Longueville, de Sablé, de la Suze, Argonnais, du Plessis-Guénégaud s’éventent. Au parterre, c’est l’émeute. On se bouscule, on se marche sur les pieds, on s’injurie, on se tripote. La Grange apparaît. En pourpoint d’or, l’orateur de la troupe prononce la petite harangue tant attendue :
— Public bien aimé. La pièce à laquelle vous allez assister est une comédie sans autre prétention que de vous distraire. Depuis L’École des femmes, Molière a toujours voulu exalter la liberté, prêcher l’émancipation des femmes. La nature est bonne : il suffit à l’homme de ne pas la contredire pour qu’elle produise des fruits exquis. Molière condamne les excès, aussi bien ceux de l’ignorance que ceux de la curiosité maladive. Il ne cherche qu’à ridiculiser certaines coteries où des pédantes se prennent pour des savantes. Il s’est souvenu de la triste fin d’une jeune Bretonne intelligente qui a eu l’imprudence de s’introduire dans les ruelles du faux savoir, d’ouvrir à son tour un salon et de publier un roman loué en son temps par l’Académie. Elle fut honteusement humiliée par certaines d’entre vous. Oui, mesdames, vous avez calomnié, injurié, rejeté une femme de lettres audacieuse et fragile. La seule qui n’appartenait pas à votre milieu. Ce soir, cette pièce lui est dédiée afin que l’honneur d’Émilie de La Motte soit retrouvé. Merci messieurs, merci mesdames. Que le spectacle commence.
Le parterre applaudit. Blanche jubile. Molière a été grand. Quelle gifle aux vieilles peaux ! Elle fond en larmes sur l’épaule de Ninon. La mère Bouillon brandit sa canne ; Aglaé grince des dents ; Mme de Sablé s’évanouit ; la duchesse de Longueville mord son mouchoir.
Le rideau s’ouvre. Catherine de Brie et Armande Béjart se gaussent de bons mots. Ninon éclate de rire :
— Jean-Baptiste aborde enfin l’amour physique autrement que par de grasses plaisanteries. Il a gagné son paradis et toi, ma chérie, tu as réussi à réhabiliter ta mère.
Blanche n’est pas si rassurée : Aglaé ne risque-t-elle pas de lui faire payer cette offense publique ?
Le printemps s’épanouit. Charles s’absente. Blanche s’en inquiète. Ninon lui apprend qu’il a été réquisitionné. La guerre contre les Hollandais et leurs alliés brandebourgeois reprend de plus belle. Les armées de Turenne et de Condé se préparent à entrer en pays liégeois et à attaquer les places tenues par l’ennemi.
Un mardi, à six heures de l’après-midi, Blase prévient Blanche : son marchand de vin est là. Elle n’a pas le temps de se poudrer, Charles la serre dans ses bras :
— Mon amour, je ne fais que passer.
— Tu peux rester cette nuit ?
— Laure est chez sa tante, j’ai champ libre.
Blanche envoie Blase chercher de quoi souper. Ils se mettent à table, conversent, font l’amour comme ils aiment, dans le noir, dans la lumière jusqu’à ce qu’ils tombent de sommeil. Lorsqu’elle se réveille, Charles dort, la tête blottie dans l’oreiller. Elle caresse son dos. Il s’étire comme un chat.
— Tu es celui dont j’ai toujours rêvé. Plus jamais, je n’aimerai autant que je t’aime, lui dit-elle d’une voix suave.
Au moment de se quitter, il la garde un long moment contre lui :
— Je n’aime pas les adieux.
— Va-t’en et souviens-toi seulement que je t’aime, s’écrie Blanche sur le pas de la porte.
Fin avril 1672, le roi fait ses adieux à Athénaïs au château du Génitoy ; il part rejoindre ses troupes. Blanche suit au jour le jour les nouvelles de la guerre dans La Gazette . Les bourgs hollandais sont pris d’assaut : Rees, Orsoy, Rheinberg, Buderich tombent. La Cavalerie de la maison du roi gagne du terrain. Charles ne devrait pas tarder.
Le 15 juin, à l’heure où le soleil s’abat sur la place Royale, Ninon entre dans la chambre de Blanche. Pâle et grave, elle s’assied sur un fauteuil, triture son
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