La Revanche de Blanche

éternelle chemise blanche pour une robe coquelicot, s’étonne d’être encore fraîche, les joues rondes et roses. En entendant la voix d’Antoine, elle se recoiffe et descend au salon la mine réjouie. Rayonnant, le visage buriné, Antoine lui ouvre les bras :
    — Ma douce ! Ta fille est adorable.
    L’officier sort de son sac un casque avec des plumes, le cale sur sa tête, tourne dans la pièce en poussant des cris de siou. Marquise applaudit. Blanche sourit. On passe à table. Antoine évoque le flibustier qui fit route vers la Louisiane, les batailles contre les Anglais et les Espagnols, les terres à l’infini, les troupeaux de bisons. Blanche est tout ouïe.
    Après une bonne nuit, elle ouvre grand la fenêtre. Sous le pommier, Antoine pousse Marquise sur une balançoire. Ses muscles se tendent. Il a forci. L’œil coquin, une expression plus grave se dessine sur son visage. Blanche foule l’herbe haute, cueille des mûres, les dévore. Antoine se met à jouer au ballon avec Marquise. Blanche les observe du coin de l’œil : un homme s’occupe enfin de sa fille. L’officier lui lance un regard appuyé. Elle détourne la tête. Elle est loin, avec Charles, perdue dans ses souvenirs.
     
    Un soir d’orage, Ninon joue de la flûte dans le salon. Les notes coulent, cascades mélancoliques et légères. La tête adossée à un fauteuil, Antoine se recueille. Emporté par la musique, il semble en extase. Blanche sent monter du fond du ventre un désir qu’elle réprouve aussitôt. Le jour de son départ, elle est presque soulagée. Quelque chose de gênant, de pressant commençait à lui peser.
     
    À la fin de l’été, installée sous la tonnelle, elle feuillette La Gazette du 20 août 1672. Un article de Théophraste Renaudot l’intrigue. Il est titré : « Mort d’un alchimiste ».
    Connu pour ses recherches sur la pierre philosophale, Antoine Godin de Sainte-Croix est décédé le 31 juillet. Le 8 août, le commissaire, deux notaires, deux procureurs, un sergent et un huissier sont venus lever les scellés de son officine. Leurs fouilles leur ont permis de découvrir une cassette de couleur rouge remplie de fioles, de sachets de poudres et de lettres compromettantes de la marquise de Brinvilliers. Des soupçons d’empoisonnement pèsent sur elle : son père et ses deux frères sont morts dans des circonstances douteuses. Sa fuite à l’étranger laisse présager qu’elle pourrait être coupable ou complice. Elle risquerait alors la condamnation à mort. À suivre …
    Blanche frissonne. La marquise de Brinvilliers lui avait paru si douce.
    Début septembre, Antoine rejoint les armées du roi en Hollande. Blanche craint qu’il ne soit tué, lui aussi. L’automne n’en finit pas de mourir. Les propositions de Racine tardent. Bonne fille, Ninon invite le poète à prendre un verre.
    Vêtu de noir, comme de coutume, Racine salue Blanche et Ninon de la tête. Une coupe de vin de Champagne à la main, il se désole :
    — Je n’ai aucune chance d’être à l’Académie française. J’ai trop d’ennemis. Corneille me déteste, Charles Perrault me soutiendra peut-être. Sur trente-sept académiciens, il ne s’en trouve que dix disposés à m’accueillir.
    — Pour Pellisson, j’en fais mon affaire, le rassure Ninon. L’ancien soupirant de Sapho se soumettra, croyez-moi.
    — Vous êtes une mère pour moi, soupire-t-il en se tournant vers Blanche. Jeune fille, je vous attends fin novembre pour les répétitions de Mithridate. Accoutumé à ingérer des poisons, pour mieux s’en défendre, mon héros finit par se donner la mort après avoir été trahi par son propre fils.
    Racine se serait-il inspiré du drame de la Du Parc ? frémit Blanche.
    — Vous avez beaucoup progressé. Vous tiendrez le rôle de Phoedime, la confidente de Monime, la fiancée de Mithridate. Monime est une figure admirable. Aimée de trois hommes, elle reste fidèle à celui qu’elle chérit. À la violence et à la ruse, elle oppose ses qualités d’âme. Phoedime est franche et honnête, elle a les grâces de la féminité, poursuit Racine en lui tendant le livret de la pièce.
    — Je sens que je vais m’entendre avec elle.
     
    Sans perdre de temps, la comédienne met en bouche les vers de Phoedime, jusqu’à ce qu’ils fassent corps avec elle. Le 5 décembre 1672, elle retrouve la Champmeslé, plus radieuse que jamais. Entouré des acteurs, le poète qui vient d’être élu à