La Revanche de Blanche
l’Académie française, veille à chacun des détails de cette mise en scène baroque qui met en valeur les moindres nuances de son texte.
— Les R doivent être roulés avec emphase, les consonnes finales accentuées, la ponctuation respectée avec précision, insiste-t-il en caressant Marie des yeux.
Acte II, Blanche commence à déclamer :
— Quoi ? Vous êtes ici quand Mithridate arrive…
Racine hoche la tête, lui demande de joindre les mains, de suivre une gestuelle aux codes très précis. Un art où rien n’est laissé au hasard.
À la pause, Blanche s’isole avec Marie derrière le décor. Il fait trop froid pour sortir. Marie lui avoue qu’elle ne supporte plus les saillies a retro de Racine ni les assauts de Charles de Sévigné qui s’est enfin déverrouillé. Derrière son sourire mutin, Blanche devine que son amie est de nouveau amoureuse. Mais de qui ?
Le 13 janvier 1673, vêtus de costumes chatoyants, maquillés au blanc de céruse, les acteurs triomphent. Mithridate et ses poisons fascinent. Dans le rôle-titre, La Fleur l’emporte. Rodée au jeu, Blanche se sent prête pour un grand rôle. Racine lui permettra-t-il de rivaliser avec la Champmeslé ? Le public applaudit – mais moins que pour Bajazet. Trois rappels au lieu de dix. Racine boude. Les comédiens font bonne figure. Blanche se démaquille. On frappe à sa loge, un jeune rouquin lui tend un pli :
Tu as déshonoré l’honneur de notre famille. Renonce au roi ou attends-toi au pire.
Grelottante, Blanche fuit le théâtre et ordonne à Blase de lui fournir une escorte de deux gardes. Le valet opine du bonnet :
— Ce billet bileux pue la jalousie.
— Notre famille : ça ne peut être que cette salope d’Aglaé de Bouillon. Elle me fait du chantage. Elle se venge de la réhabilitation de ma mère.
— N’attachez pas d’importance à ce genre d’intimidation, mademoiselle. Ça ressemble à un coup fourré.
Pendant un mois, deux gaillards costauds accompagnent Blanche au théâtre. Le 17 février, à la fin de la représentation, Ninon surgit dans sa loge :
— Je viens d’assister au Malade imaginaire. Molière est au plus mal. Je suis venue te chercher.
Rue de Richelieu, Armande, Geneviève Béjart, La Thorillière et La Grange entourent le lit de Molière. Ninon et Blanche les rejoignent. Un médecin s’agite. La Grange murmure :
— Je ne sais pas comment Jean-Baptiste a réussi à jouer avec une fluxion de poitrine. Il a fait de tels efforts pour ne pas tousser qu’une veine s’est rompue dans les poumons. Il a perdu beaucoup de sang.
Décharné, les yeux caves, Molière crache du sang. Ses quintes de toux redoublent de violence. Armande prend sa main. Jean-Baptiste la regarde avec amour.
— Je n’aurais jamais dû te laisser jouer dans cet état, se reproche la comédienne.
— Je veux mourir en bon chrétien, supplie Molière d’une voix caverneuse.
— Baron est allé chercher un prêtre, le rassure Armande.
Blanche s’approche de Jean-Baptiste :
— Merci, merci pour tout ce que vous nous avez donné.
Il esquisse un léger sourire. Ninon embrasse son vieil ami. Couton, un voisin, membre de la Compagnie du Saint-Sacrement, entre dans la pièce. L’homme à barbiche blanche ouvre un missel, se tourne vers Armande :
— Permettez-moi d’aider monsieur Molière à mourir religieusement.
Armande se jette sur la poitrine de Jean-Baptiste. Un filet de sang coule de sa bouche. Molière pousse un soupir, le dernier. Armande ferme ses paupières. Les comédiens récitent un Pater. L’abbé Payant arrive enfin. Trop tard.
— Il ne s’est pas confessé, mon père, le prévient Geneviève Béjart. Il a reçu les sacrements à Pâques par les soins de l’abbé Bernard, un prêtre de l’église Saint-Germain. Il n’a pas eu le temps de signer la renonciation au métier de comédien.
— Je crains que monsieur Molière n’ait pas droit à une sépulture ecclésiastique, déplore l’abbé.
— Que dites-vous ? Molière est célèbre. L’Église fera une exception, s’emporte Armande. Je me charge de faire la demande à l’archevêque de Paris.
Chacun à leur tour, les comédiens embrassent le front encore chaud de Jean-Baptiste. Armande glisse un chapelet entre ses doigts. Blanche se signe. Tous se taisent, comme en attente d’une consigne de jeu, d’un bon mot. Une heure plus tard, Baron déclare qu’il part pour Versailles annoncer au roi
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