La Revanche de Blanche
paume. Quelle élégance !
— Tu veux me faire rougir ? minaude Blanche en faisant voler les pans de sa robe.
— Entrons dans les vestiaires, lui intime Charles, en scrutant les alentours.
Elle le suit, tremblante de désir. Il l’entraîne dans une salle encombrée de balles, de raquettes, plante sa main entre ses cuisses :
— Pardonne-moi si je t’ai fait de la peine ; tu m’en as fait aussi. J’ai appris que tu avais cédé au charme de mon cousin, qu’il était le père de Marquise.
— Nous avons eu une nuit de faiblesse, s’empourpre Blanche. Qui t’as dit cela ? La marquise de Sévigné ?
— Qu’importe ! Louis est incorrigible ! Promets-moi qu’il n’y aura plus rien entre vous.
— Je te le promets.
— Il faut que je tu saches : si je veux devenir roi de Pologne, nous devons cesser de nous voir.
— Je préfère partir tout de suite, s’écrie Blanche en courant vers la sortie.
Charles la poursuit, la plaque contre le mur, enserre ses jambes.
— Au diable la Pologne et les Polonaises !
1 - Que voulez-vous dire ?
22
Sa reddition a rendu à Blanche sa joie de jouir. Fin octobre 1671, le salon de Ninon frémit des derniers ragots de la Cour. La marquise de Sévigné se délecte. La princesse Palatine épousera Monsieur en novembre. Lauzun a réussi à piéger Athénaïs. Afin qu’elle intervienne auprès du roi pour lui obtenir la charge de colonel du régiment des Gardes françaises, il a réussi à endormir sa méfiance, lui a fait parvenir des toiles de maîtres hollandais. Un soir, le petit homme s’est introduit dans son appartement, s’est glissé sous son lit. Quel ne fut son étonnement d’entendre Athénaïs le railler devant le roi. Lorsqu’elle est sortie de la pièce, Lauzun lui a demandé si elle s’était souvenue de lui auprès de son amant. Elle l’a rassuré. Il l’a interrompue, l’a traitée de menteuse, de pute à chien, de tripière. Effrayée, la marquise s’est évanouie. N’a pas tardé à se venger. À la mort de Julie de Montausier, dame d’honneur de la reine, elle a poussé la candidature de son amie, Mme de Richelieu. Lauzun, celle de Mme de Crépi. Athénaïs s’en est plainte à son amant. Lauzun s’est déchaîné contre la favorite. Excédé, le roi l’a fait enfermer au donjon de Pignerol où Nicolas Fouquet se morfond depuis sept ans.
Plus elle écoute Mme de Sévigné, plus Blanche se convainc que cette commère a parlé. Ninon se serait-elle laissée aller ? Tout se sait. Elle redoute le pire. Si Athénaïs apprenait qu’elle a eu une fille du roi, irait-elle jusqu’à exiger qu’elle soit exilée ou incarcérée, comme ce pauvre Lauzun ?
La nuit tombe plus vite. Durant les longues soirées au coin du feu, Blanche découvre avec ravissement Bajazet, la pièce que Racine lui a fait porter. Le soir de la Saint-Nicolas, elle est seule. Blase la prévient : « Un certain monsieur Pinard, marchand de vin, insiste pour vous voir. » Elle accepte de le recevoir : il a peut-être de bonnes bouteilles. Habillé d’une bure noire, perruqué, une caisse de vin sous le coude, binocles sur le nez, Pinard se présente. En un coup d’œil, Blanche reconnaît Charles, se retient de rire. Blase sorti, elle lui saute au cou, le compare à son grand-père. Les amoureux boivent un verre de blanc à sa mémoire. Charles la porte jusqu’au lit où ils se donnent ce plaisir qui rend plus fort.
Blanche vole vers l’hôtel de Bourgogne. Elle se réjouit de revoir Marie. Le teint pâle, Racine distribue les rôles, donne des indications. M. Champmeslé sera Bajazet ; sa femme jouera Atalide ; Anne d’Ennebaut, Roxane ; La Fleur se mettra dans la peau du vizir, Acomat… Blanche, dans celle de Zaïre, l’esclave d’Atalide. La première aura lieu dans quinze jours, le 1 er janvier 1672. Il n’y aura ni décor ni costume. Esclave de sa passion pour Bajazet, Roxane en épie le moindre soupir, le moindre geste. Dans une crise de jalousie furieuse, elle lui offre une dernière chance, menaçant de l’égorger s’il épouse sa rivale, la princesse Atalide. Roxane sera poignardée, Atalide se tuera. Le poète essuie son front brûlant. Il semble habité par le drame qu’il met en scène. Il prend le bras de Marie. D’une voix douce et insistante, il la prie de lire la scène qui s’ouvre par : Zaïre, c’en est fait, Atalide est perdue . Des larmes coulent sur ses joues. De quoi souffre-t-il ?
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