La Revanche de Blanche
Est-il dévoré par la jalousie ? Par ces passions qu’il dépeint avec tant de beauté ? Patiente, Marie se soumet à cet homme sensible qui la modèle et la façonne avec une ardeur contenue.
Le rôle de Zaïre est délicat, l’esclave est chargée de mettre en garde Atalide : Roxane ne doit rien savoir de son amour pour Bajazet. Blanche surjoue. Racine pose une main sur son épaule. Lui fait comprendre que l’émotion naît de la réserve : « Plus, c’est moins », disait Rubens. Ses yeux bleu délavé la fixent, si tristes que Blanche éprouve l’irrésistible désir de le consoler.
Pendant qu’il fait répéter La Fleur et Hauteroche, les actrices sortent prendre l’air devant le théâtre. Marie achète des gaufres à un gamin. En croquant dans la pâte chaude, elle demande à Blanche si elle ne connaîtrait pas une faiseuse d’anges.
— Surtout, n’en parle à personne. À vrai dire, je ne sais pas qui est le père.
— Ne t’inquiète pas, je garde les secrets.
— J’espère que Ninon ne m’en veut pas. Charles de Sévigné m’a fait la Cour. J’ai cédé : un vrai fiasco !
— Ninon s’est amusée un moment avec lui, elle n’en a que faire, sourit Blanche. Il n’arrive pas à la cheville de son père.
— La marquise de Sévigné fait courir le bruit qu’elle est ma belle-mère. Il ne faudrait pas que cela revienne aux oreilles de Racine.
Au fil des répétitions, une connivence se noue entre les deux actrices. Marie se rend chez dame Lapierre. La faiseuse d’anges exige trois cents livres. Tous les soirs, Charles de Sévigné l’attend à la sortie du théâtre, lui offre des cadeaux, des soupers. Racine qu’elle rejoint parfois la nuit sent qu’elle lui échappe. Son mari ne voit toujours rien.
Le soir de la première de Bajazet , Blanche, qui vient de fêter ses vingt et un ans, a le trac. Elle entrouvre le rideau. Cherche Charles au balcon. La marquise de Sévigné, Boileau, La Rochefoucauld, Mme de La Fayette… tout Paris est là. Hauteroche se racle la gorge. La Fleur récite à voix basse son rôle. La tension est extrême. La Champmeslé entre en scène. Soupirs et pleurs montent bientôt de la salle. Blanche se laisse bercer par la poésie, la musique de la tragédie . Elle se contient : l’émotion affleure. Marie est ovationnée. Un triomphe. En coulisse, Hauteroche se vante d’avoir été brillant, La Fleur s’impatiente d’être félicité. Agacée par leur pédanterie, Blanche retrouve sa marraine et ses amis. La marquise de Sévigné se pâme :
— Ma « belle-fille » est la plus merveilleuse des comédiennes. Sans elle, Racine n’écrirait pas d’aussi belles choses. Il est bien au-dessus de Corneille, mais il passera, comme le café.
Blanche quitte le théâtre, un petit pincement au cœur : Charles n’est pas venu.
Le 17 février, la comédienne suit le cortège funèbre de celle qui l’avait accueillie à ses débuts : Madeleine Béjart s’est éteinte. Les vêpres sont célébrées à l’église Saint-Germain-l’Auxerrois. Retenus à la Cour, Molière, Armande et Geneviève Béjart n’arrivent qu’à la fin de la cérémonie. Ravagé par le chagrin, prostré devant le caveau où Joseph, le frère de Madeleine, et Marie Hervé ont été enterrés, Jean-Baptiste se promet de ne pas signer la renonciation au théâtre obligatoire pour recevoir les derniers sacrements. À la sortie de l’église, il confie à Blanche :
— Elle fut la lumière de ma vie. Elle t’aimait beaucoup. Tu sais, je ne t’ai pas oubliée. J’ai rédigé un texte sur ta mère. La Grange le lira le soir de la première des Femmes savantes. Lully n’y participera pas. Nous sommes brouillés. Depuis qu’il a obtenu du roi le privilège des spectacles accompagnés de musique et de ballets, on croirait qu’il n’existe pas d’autre compositeur que lui.
Excitée par cette déclaration qui ridiculisera les ennemies de sa mère, ce soir-là, Blanche se surpasse.
Quelques jours plus tard, Monsieur et sa nouvelle épouse, la princesse Palatine, assistent à Bajazet . Curieux couple, se dit Blanche en s’inclinant devant la grosse Bavaroise. À la sortie du théâtre, elle aperçoit Charles et sa fiancée parmi la foule. Vers minuit, son marchand de vin la rejoint et lui fait oublier ses tourments de femme jalouse, ses angoisses d’actrice en mal de reconnaissance.
Les représentations de Bajazet se terminent. Paris se
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