La Revanche de Blanche

la mort de Poquelin.
    — Qu’allons-nous devenir ? se lamente Catherine de Brie.
    Il est deux heures du matin. Blanche et Ninon se retirent. Armande veille le corps de celui qu’elle a si souvent négligé.
    — Les enfants du paradis vont passer de bonnes soirées, maintenant qu’il est là-haut, dit Blanche à Ninon.
     
    Molière est enterré à Saint-Eustache le 21 février. L’archevêque de Paris a accepté de répondre à la demande d’Armande à condition que les funérailles se fassent sans pompe. Une foule immense s’amasse devant la maison de la rue de Richelieu d’où le convoi s’apprête à partir. Épouvantée par cette populace, Armande jette des pistoles aux badauds en les invitant à prier pour Molière. Un flambeau à la main, les amis, les admirateurs et les comédiens suivent le cortège. Mille flammes brillent dans le noir. Au cours d’une cérémonie dépouillée, La Fontaine lit une épitaphe poignante.
    Une semaine plus tard, la troupe remonte Le Malade imaginaire. Baron tient le rôle-titre.
     
    Pleine de mélancolie et de regrets, Blanche ressent un grand vide. La mort de Molière lui a fait oublier la lettre anonyme. Elle se décide à prévenir Guillaume. L’avocat lui conseille de n’ouvrir sous aucun prétexte à un inconnu. Il lui promet d’enquêter, au besoin de soudoyer un valet d’Aglaé pour l’espionner.
    Le soleil perce les nuages. Amaigrie, comme au sortir d’une fièvre, Blanche emmène Marquise chez sa marraine. Elle espère avoir des nouvelles d’Antoine. Venu en ami, le marquis de Villarceaux se pâme devant l’enfant qui prend une feuille et dessine ce gros moustachu. Le marquis la félicite. Blanche le presse de questions : son fils est en Allemagne avec Turenne. Le roi a donné l’ordre d’attaquer Maëstrich. Personne ne sait quand la guerre finira. Ninon s’indigne de la violence des hommes, mais ce qui la chagrine avant tout est leur ingratitude. La décision du roi de reprendre à la troupe de Jean-Baptiste la salle du Palais-Royal pour la donner à Lully la met hors d’elle : « Baron, La Thorillière et les Beauval rejoignent l’hôtel de Bourgogne. La troupe de Molière n’existe plus. »
     
    Jour après jour, Blanche suit le déroulement de la guerre dans La Gazette. Le 1 er  mai, le roi quitte Saint-Germain pour l’armée avec ses dames : la reine, la Grande Mademoiselle, Mme de Richelieu, Mme de Béthune, Mlle d’Elbeuf, Louise et Athénaïs, enceinte pour la quatrième fois. Françoise Scarron soutiendra la marquise de Montespan et recueillera le nouveau-né. Ninon lit à Blanche les lettres de son amie.
    Ma douce,
    Le voyage dans la poussière et le vent est épuisant. Madame de Montespan qui va dans le carrosse du roi est sur le point d’accoucher et me fait peine. On soupe dans les voitures : le roi est si pressé ! Malgré sa grossesse, cette pauvre Athénaïs subit trois dégoûts par semaine. Elle n’hésite pas à maltraiter son amant devant tout le monde. Quant à moi, j’ai hâte de rentrer, la vie de Cour me lasse et me déçoit.
    Je vous embrasse,
    Françoise.
    Ma chère,
    Ce 1 er  juin 1673, alors que la reine a passé la nuit dans le palais épiscopal de Tournai, madame de Montespan a accouché d’une fille dans la citadelle. Elle porte le nom de Louise-Françoise ; j’en suis flattée. Je reviendrai dans trois semaines avec ce nouveau fardeau. La vertueuse Louise se déciderait enfin à se retirer chez les carmélites et à prendre le voile. Athénaïs craint le scandale et préférerait qu’elle choisisse une retraite plus discrète aux Filles de Chaillot. Le roi a horreur des carmélites. Il prétend que sous leur affectation se cachent des ravaudeuses, et même, des empoisonneuses.
    Avec ma tendresse,
    Françoise .
    Comme tous les étés, Blanche se rend à Villarceaux avec Ninon, Dahuh et Marquise qui y ont leurs habitudes. Sous la tonnelle, plongée dans La Gazette, elle espère le retour du roi, celui d’Antoine aussi. Le 30 juin, Maëstrich se rend. Un siège meurtrier au cours duquel d’Artagnan, fait maréchal de France, perd la vie. Pas un mot sur Antoine. Les journées s’étirent. Sous la houlette de Blanche, Dahuh commence à apprendre à lire à Marquise. À trois ans, l’enfant se révèle curieuse, volontaire. Blanche lui passe tout au point que Ninon est obligée d’intervenir et de gronder la petite fille qui pique des colères dès qu’on refuse de céder à ses