La Revanche de Blanche

Blanche, elle croque un macaron.
    — C’est un cruel présent du ciel que l’excès de sensibilité. Les choses de la tendresse font plus souffrir qu’elles n’apportent de joie. Dès le commencement d’une aventure, je me fais homme, confie-t-elle, la bouche pleine.
    — Je ne suis pas au commencement, mais à la fin d’une aventure qui n’a pas commencé, réplique Blanche.
    — Tu es comédienne. Joue-toi des hommes, fais-en tes complices. À trop vouloir les aimer, on les perd. L’essentiel est de garder leur amitié, et de ne manquer de rien.
    — L’amitié, ce sera pour plus tard. J’ai l’âge des passions. Et puis, je ne manque de rien : le roi m’a augmentée. Il m’a offert un hôtel au bourg de Versailles.
    — Tu es vernie : c’est le meilleur payeur du pays. Riche et libre, tu seras la plus courtisée des femmes. Serait-il marié, Antoine ne te résistera pas. Profite des faveurs royales et jouis de qui tu voudras. Lui ou un autre, les hommes sont des tiroirs : on y trouve ce que l’on y cache.
    Femme d’expérience, Ninon connaît sa Blanche comme si elle l’avait faite. D’un instant à l’autre, elle sait qu’elle peut flancher. Retiendra-t-elle mes leçons de sagesse ? se demande-t-elle en allant retrouver son favori du moment.
     
    Le travail est salvateur. Blanche s’y donne âme et corps. Iphigénie sera à l’affiche à partir du 1 er  janvier 1675, pour trois mois, à raison de trois représentations par semaine. Le 28 décembre, les acteurs retrouvent leurs marques. Iphigénie leur est familière. Après les dernières mises au point, Baron propose à Blanche d’aller boire un verre au Sanglier qui fume. Depuis leur escapade chez Mme du Plessis-Guénégaud, il attend cet instant avec impatience. Après deux chopes de bière, il se jette à l’eau :
    — Tu as changé Blanche. Tu as eu des ennuis ? Tu peux tout me dire, tu sais.
    Ses yeux d’épagneul attendrissent la jeune fille. L’alcool aidant, elle s’ouvre :
    — Notre petite comédie n’a pas marché. Antoine épouse Aglaé.
    — Tu l’aimes donc tant ton Antoine ? Ne te prendrais-tu pas pour une héroïne de Racine ?
    — Ne te moque pas. Je vis une vraie tragédie. Un jour, Molière m’a raconté qu’à Auteuil, ses amis Lully et Boileau, très éméchés, ont voulu se jeter dans la rivière. Je suis comme eux aujourd’hui.
    — Vas-y, la Seine est à deux pas, nous sauterons ensemble !
    Michel couvre les épaules de Blanche de sa cape. La Seine a gelé. Prisonnière de la glace, une oie ressemble à une statue de marbre.
     
    Après l’échec du nouvel opéra de Lully et de Quinault, Racine a le champ libre ; le public parisien se rue sur les guichets d’ Iphigénie . Chaque soir, il acclame les acteurs. Épuisée, Blanche consacre ses après-midi à sa fille. Un seul être lui manque : Antoine. La nuit, l’envie lui vient de faire disparaître Aglaé. Elle ressasse. En parler à Athénaïs ? Un tord-boyaux, un gros bras, un enlèvement ? Au matin, elle remet ses projets à plus tard. Clytemnestre l’attend avec sa haine, sa soif de vengeance. Vieillie, blanchie pour la scène, elle se délecte des longues tirades où la mère d’Agamemnon tempête contre l’injuste sort que lui impose son mari. Baron la taquine gentiment. Une tendre amitié se noue entre les comédiens qui terminent leurs soirées dans des tavernes. Michel ne demande rien de plus.
     
    Pendant le carême, les représentations sont suspendues. Blanche en profite pour découvrir son nouvel hôtel et rendre visite à Athénaïs. Le dimanche de Pâques, elle grimpe avec ce bon Blase dans son nouveau carrosse un peu tape-à-l’œil. Après avoir tourné dans le bourg de Versailles, le cocher finit par trouver la demeure de Michel de Moronia. Sur la place du marché, un grand porche s’ouvre sur un jardin où la végétation a tout envahi. Le lierre recouvre les façades de deux corps de logis à l’enseigne de saint Jérôme. À coups d’épée, Blase se fraye un passage entre les herbes folles. À l’intérieur, une salle de garde aux poutres peintes, meublée de buffets espagnols blancs de poussière. Sur la table de la salle à manger, un couvert pour dix personnes pourrait être dressé. À l’étage, des chambres avec des lits à baldaquin donnent sur une basse-cour. Enchantée, Blanche charge Blase de trouver des artisans afin de remettre à neuf sa villegiatura. En attendant, il