La Revanche de Blanche
plus bas de se venger de la querelle d’ Andromaque. J’ai réussi à empêcher que cette forfanterie soit représentée au théâtre Guénégaud en même temps que la mienne. Madame de Montespan m’a bien soutenu, pérore Racine.
— Ces querelles vous empêchent-elles de travailler à une nouvelle pièce ? s’enquiert Blanche.
— Pas le moins du monde, ma chère. Je suis en train d’écrire la meilleure de mes tragédies. J’en réserverai la lecture à la marquise de Montespan.
Blanche rit tout bas : le jour où elle sera la favorite, ce sera elle qui aura la primeur des pièces de Racine.
La Fontaine cite un extrait des Animaux malades de la peste :
— Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes, Seigneur,
En les croquant, beaucoup d’honneur.
Chacun y va de ses vers. La soirée se termine autour d’un bas-armagnac. Blanche se félicite de cette première qu’elle estime digne du salon d’Émilie.
Le ciel se dégage. Le 6 juin 1675, Blanche se fait conduire à Fontaine-de-Mars, le nom qu’elle a choisi pour son hôtel. Tout y a été nettoyé, restauré, décoré. Marquise se précipite à la basse-cour. Dahuh fait sauter une omelette. Dans la grande salle à manger, Blanche se régale d’un poulet au citron arrosé d’un verre de bordeaux : à nous deux, Versailles !
Le lendemain, elle ne résiste pas à l’envie d’aller saluer Athénaïs.
La marquise noue un ruban autour du cou d’un mouton :
— Il y a un temps fou que nous ne nous sommes vues, ma chère ! Racine m’a dit qu’ Iphigénie avait eu beaucoup de succès. Où descends-tu quand tu viens me rendre visite ? Tu pourrais loger chez moi…
— Ninon a loué un petit hôtel non loin d’ici, ment Blanche.
— Fort bien ! Pendant que le roi est à la guerre, je redore mon blason. Mon amie, la duchesse de Richelieu, a vanté mes mérites auprès de la reine, se félicite Athénaïs. J’ai déclaré à tout le monde que j’avais renoncé à ma liaison avec Louis et que je vivrai en toute amitié avec lui. Je retrouve donc ma place de suivante, toi, celle de dame de compagnie. Tout rentre dans l’ordre, mais tu te doutes bien que je ne vais pas faire longtemps « ami-amie » avec le roi ! La concurrence est rude. J’aurai besoin de toi, ma douce.
Le Nôtre interrompt leur entretien. Sur ordre de la « sultane », il cache des pots d’orangers par des assemblages de fleurs apparemment en vrac.
— J’avais commandé des lys, pas des anémones ! s’agace Athénaïs.
Elle exige qu’on enlève les bouses de vache, le crottin des chevaux. En habits du dimanche, les paysans se plient jusqu’à terre devant elle. Blanche la laisse à ces jeux après s’être assurée de revenir à Versailles, dès que le roi sera rentré.
Mi-juillet, Athénaïs lui envoie un tendre poulet. Blanche se pomponne, enfile une robe à fleurs, des gants roses, des escarpins assortis. Dans le parc du château, des dizaines de jardiniers s’affairent. Entouré de ses dames, le roi se promène sur la terrasse. Il a trente-huit ans, règne depuis vingt-cinq ans, gouverne depuis quinze. Déterminé à ne revoir Athénaïs qu’en public, il marche d’un pas lent, canne à la main, large chapeau à plumes, pourpoint de soie bleue. À ses côtés, la reine s’évente, le Dauphin traîne les pieds. Derrière eux, par ordre de préséance : Monsieur, Madame, la Grande Mademoiselle et Athénaïs. D’une moue dédaigneuse, la marquise de Montespan toise les duchesses qui se pressent autour d’elle. Louis se tourne vers sa femme et déclare à qui veut l’entendre :
— Soyez persuadés que je n’ai pas changé les résolutions que j’ai prises en partant. Fiez-vous à ma parole et instruisez les curieux de mes sentiments.
Au bout du cortège, Blanche s’amuse de cette comédie. Le Roi-Soleil se dirige vers l’intérieur du château – les violons de Lully l’y incitent. Il s’installe à sa table. La Cour lui fait face. Encadrés de gardes, des serviteurs lui apportent du saumon persillé, un paon aux petits pois, des biscuits à la crème fouettée. Tout a été goûté au préalable. Athénaïs murmure à Blanche :
— Je suis rétablie, Louis se montre à nouveau galant. On surveille mes moindres gestes. Une seule fausse note et je retourne à mes dindons. Pour l’heure, j’éprouve une certaine jouissance à faire languir mon roi. La Maintenon est repartie en cure avec mon fils, j’ai
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