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La Revanche de Blanche

La Revanche de Blanche

Titel: La Revanche de Blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Emmanuelle Boysson (de)
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bout des lèvres. Rouge de confusion, il masque mal sa timidité. Devant une dinde garnie de marrons et de petits boudins, il s’indigne :
    — Le procès de Fouquet a duré quatre ans. Le roi n’a pas respecté la décision des juges. Il a transformé la sentence en détention perpétuelle dans la citadelle de Pignerol. C’est une honte.
    — Celui qui se voulait un écureuil le mérite peut-être. À trop vouloir épater, on agace, rétorque Blanche.
    — Tu défends le roi, maintenant ? la taquine Antoine. La Cour t’attirerait-elle ? Pas moi. J’ai horreur de cette bande de courtisans qui passe son temps à jouer aux cartes, à miser des fortunes, à ragoter, à se goinfrer. La dernière lubie du roi ? Copier Vaux, agrandir le pavillon de Versailles et faire construire une ménagerie. Quel gâchis ! J’ai envie de voir du pays : mon père a obtenu que je sois enrôlé dans la Marine royale. Je voguerai, loin de ces miasmes.
    Blanche rit dans ses mains : si Antoine critique ce monde-là, c’est parce qu’il n’y a pas accès. Ninon découpe une tourte aux pommes. Blase sert du vin de Champagne. La neige couvre les toits du quartier du Temple.
     
    Début février 1665, assise devant sa coiffeuse, Blanche se poudre – Ninon lui a offert quelques-uns de ses onguents : du lait d’amandes douces, du fard, des mouches… Ses seins boutonnent sous sa chemise, des poils envahissent son bas-ventre, du sang coule entre ses jambes et l’oblige à glisser un linge épais sous sa longue culotte de coton. Sans savoir pourquoi, elle se surprend à éclater de rire, quelques minutes plus tard, à pleurer. Il y a deux jours, sa marraine lui a donné Silvia et le Journal de sa mère . Elle caresse la couverture en veau glacé à roulettes d’or du roman d’Émilie, le feuillette, le pose sur sa table de nuit. Les petits carnets l’attirent davantage. Elle ouvre l’un d’eux au hasard et lit, avec l’impression de violer l’intimité de sa mère :
     
    C’est donc bien grâce à mon père que je suis reçue ici. J’ignorais tout des relations qu’il entretenait avec la comtesse qui m’impressionne. Comment a-t-il pu s’introduire, lui, ce Breton, d’un abord plutôt abrupt ?
    La comtesse de La Tour, cette femme austère chez qui maman a été gouvernante, fut donc liée à mon grand-père, s’étonne Blanche. Ninon frappe à la porte. La jeune fille cache les carnets sous un coussin, se recoiffe :
    — Je n’ai pas envie de retourner chez madame du Plessis-Guénégaud. Ça sent le rance.
    — Tu as tort de te braquer. Un certain Jean Racine, un jeune auteur, va lire une de ses pièces. Je crois que tu aimes le théâtre, non ? insiste Ninon.
     
    Blanche la suit, boudeuse. Ce 5 février est un des jours les plus froids de l’hiver. À l’entrée de l’hôtel éclairée par des flambeaux, Élisabeth et Henri du Plessis-Guénégaud accueillent leurs invités. Depuis qu’elle a défendu Fouquet, la comtesse frondeuse est en disgrâce. Voilette en dentelle noire, gants et plumes d’autruche, elle se veut modeste, discrète : on ne voit qu’elle. « Elle a beau se racheter une conduite, elle finira ses jours à Port-Royal, la maison retraite des Précieuses », raille Ninon. Dans un salon orné de tapisseries de Hollande, la marquise de Sévigné et sa fille, Françoise, dix-neuf ans, passent devant elle sans la saluer. La marquise a ses humeurs. En veut-elle encore à l’ancienne maîtresse de son mari ? Henri est mort en duel il y a quatorze ans. Il ne se battait pas pour les beaux yeux de Mlle de Lenclos, mais pour ceux de cette pauvre Mme de Gondran.
    Les invités s’installent sur des chaises dorées. La Rochefoucauld courtise Mme de La Fayette. Nicolas Boileau salue Anne-Geneviève de Longueville qui fait son entrée au bras de son fils. Blanche reconnaît à peine le boutonneux qui grimpait sur le pommier. Léger duvet sur le menton, yeux bleus rieurs, boucles blondes sauvages, Charles semble sûr de lui, de son rang, de son père, de sa devise. Son regard de loup se pose sur la jeune fille. Elle rougit, s’évente. Un jeune homme élancé, beau port de tête, fine moustache, longue perruque noire, allure noble et ambitieuse, se place devant l’assemblée. La comtesse bat des mains, se trémousse :
    — J’ai l’honneur de vous présenter monsieur Jean Racine qui va nous lire trois actes de sa nouvelle pièce, Alexandre Le Grand . Monsieur Boileau nous fera

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