La Revanche de Blanche
péchés. J’ai voulu venger ma mère des affronts qu’elle a subis. Je reconnais mes fautes : j’ai désiré qu’Aglaé disparaisse, mais je suis innocente, vous le savez.
La mort d’Aglaé ne la chagrine pas longtemps : Antoine est libre.
Le lendemain, à midi, vêtu d’une toge noire rehaussée d’hermine, le ventre rebondi, longue perruque blanche, chapeau carré, Guillaume s’installe sur le fauteuil à oreillettes de sa sœur. Elle parle vite, lui relate son enlèvement, décrit la maison de passe, les clients, la maquerelle, Hugo. L’avocat promet de mettre tout en œuvre pour trouver le ou les coupables. Il se gratte la gorge, déclare, la mine affligée :
— La mort de mademoiselle de Bouillon nous semble suspecte. Nous procédons à quelques interrogatoires. La Reynie souhaite t’entendre.
— La Reynie, mais pourquoi ? Je n’ai rien fait, j’étais à Ménilmontant.
— Ne le prends pas mal. La Reynie reçoit tous ceux qui côtoyaient Aglaé. Peux-tu te rendre à l’Arsenal demain, à midi ?
Blanche sent couler dans son dos des sueurs glacées :
— Tu seras là ? On ne va pas me torturer, dis ?
— Bien sûr que non. Ne te fais aucun souci, petite sœur.
Les sabots d’Aurore foulent les feuilles mortes. À l’Arsenal, vaste bâtisse austère, un clerc indique à Blanche le bureau de La Reynie. Elle patiente dans une salle d’attente bondée. Un quart d’heure plus tard, Guillaume lui fait signe d’entrer chez le lieutenant de police. Grand, maigre, pourpoint vert, La Reynie prend des notes. Il lève la tête :
— Asseyez-vous, mademoiselle. Pardonnez-moi de vous avoir fait venir ici. La lettre que nous avons reçue fait allusion à de nombreux griefs que vous auriez contre mademoiselle de Bouillon. Vous devez tout me dire. C’est dans votre intérêt.
— Vous croyez que j’aurais voulu me venger…
— Calmez-vous. Nous ne vous accusons de rien. Il nous faut la vérité des faits.
— Monsieur, s’il est vrai que j’ai éprouvé de l’aversion pour Aglaé, je ne l’ai pas empoisonnée. Je vous le jure. On m’a enlevée.
— Je suis au courant ; nous avons lancé une enquête. Permettez-moi d’insister. Pour quelles raisons en vouliez-vous à mademoiselle de Bouillon ?
— L’origine de nos malentendus remonte à une vieille histoire de famille… Jalousie, dénonciations, un roman, des révélations, bredouille Blanche.
— Soyez plus précise, ordonne La Reynie.
Blanche revient sur le faux homme de loi, la découverte de l’article non signé, son agression dans une impasse, la lettre anonyme destinée à la reine :
— Aglaé m’a pourri la vie, mais je n’ai rien fait, je vous le jure !
La Reynie fronce les sourcils :
— Je vous remercie, mademoiselle. Nous vous informerons de la suite des événements.
Blanche se retire, persuadée d’avoir été convaincante.
Huit jours après, Guillaume revient chez elle. L’avocat lui révèle que des flacons d’eau de Châteldon contenant du poison ont été trouvés sur la table de chevet d’Aglaé. Ils auraient été apportés par un laquais qui, pour l’heure, refuse de parler sous la torture.
— Nous utiliserons les grands moyens pour qu’il dénonce celui ou celle qui est à l’origine de ce meurtre, se raidit Guillaume. Quant à toi, je suis rassuré. Ton absence te disculpe. Seulement… La Reynie m’a demandé de te charger d’une mission discrète. Il aimerait que tu le renseignes sur ceux qui fréquentaient Aglaé à la Cour. Si tu pouvais glaner quelques propos, tu nous rendrais grand service.
— J’essaierai, mais ce sera difficile. On me jalouse, on se méfie. Je suis une intime du roi.
— Ta position est délicate, j’en conviens. Tu devrais t’effacer un peu. Tu cours des risques en t’affichant avec le roi : madame de Montespan a la réputation d’être cruelle. Essaie de rétablir la confiance… Nous voudrions en savoir plus sur elle.
Blanche se crispe. L’idée d’abandonner son projet de jouer le premier rôle à la Cour lui noue les tripes. À y réfléchir, elle se convainc qu’elle a peut-être intérêt à fournir du grain à moudre à son frère. Si un jour il apprenait qu’elle a participé aux messes noires de Lesage, Mariette et Guibourg, il la défendrait d’autant mieux.
— Je ferai tout mon possible, promet-elle. Mais, auparavant, je vais être très occupée par la nouvelle tragédie de
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