La Revanche de Blanche
forces, oublier ce cauchemar : il ne faut jamais abandonner, se répète-t-elle en ouvrant les bras à sa fille.
Marquise ronchonne. Elle a six ans. L’absence prolongée de sa mère lui a pesé. Blanche lui promet de ne plus la quitter. Elle se désespère : pas un mot du roi. Quand daignera-t-il venir voir Marquise ? Il était si attentif, si tendre… À huit heures du soir, Blase lui apporte un pli. Ce n’est que Racine.
10 octobre 1676
Chère amie,
De crainte qu’elle ne s’ébruite, j’ai gardé secret le sujet de ma nouvelle tragédie. Je ne l’ai montrée qu’à mon ami Boileau, au père Bouhours et au père Rapin. J’ai confiance en ce fêtard de Boileau. Ensemble, nous avons déclaré la guerre à ces pitoyables poètes qui se disent modernes, des minables qui veulent nous faire ombrage. Je me méfie surtout de Nicolas Pardon, ce jeune pédant qui s’est introduit dans les salons de madame des Houlières et de la duchesse de Bouillon. Sa pièce, Tamerlan ou la Mort de Bajazet, est un odieux plagiat de ma Bajazet. Il serait capable de me voler l’idée de ma dernière création : Phèdre – elle s’appelle ainsi – marque un retour à la Grèce. Elle bannit le galant pour mettre en avant les ravages de la passion. Amoureuse d’Hippolyte, son beau-fils, Phèdre va vivre un dilemme insoutenable. Je compte sur votre discrétion. Vous tiendrez le rôle d’Aricie, la fiancée d’Hippolyte. Les répétitions commenceront début novembre. Phèdre sera représentée à l’année nouvelle.
Bien à vous ,
Racine .
Le feu éclaire la chambre. Blanche presse la lettre sur son cœur : enfin un grand rôle ! Impatiente d’éblouir le roi, Antoine aussi, elle boit une coupe de vin de Champagne. Imagine l’officier dans un port espagnol où les filles s’offrent pour deux sous. Pourquoi n’a-t-il rien dit lorsque je lui ai parlé de son mariage, ce coquin ?
Roulée en boule à côté de Patisson, ses yeux se ferment.
Au réveil, elle traverse d’un pas léger la place Royale. Sa marraine boit une tasse de thé :
— Ma chérie ! Te voilà enfin ! Tu as dû vivre l’enfer !
— Je sais maintenant ce qu’est une maison close !
— Lorsque l’abbé Petiot m’a transmis ton billet, j’ai failli prévenir la police. J’ai préféré qu’Antoine prenne les choses en main.
— Il a été admirable, rosit Blanche. Crois-tu qu’il se mariera à son retour ?
— Il ne t’a rien dit ? Il vient de rompre ses fiançailles. Trop de disputes. Je suis atterrée par ce que Marie de Sévigné vient de m’apprendre : Aglaé est morte cette nuit.
— Quelle horreur ! Elle s’est pendue ?
— Pas du tout, elle avait plutôt bien réagi. Elle a été emportée en quelques heures, après d’atroces douleurs de ventre. Les médecins se sont demandé s’il s’agissait d’une mort naturelle.
Blanche blêmit. Elle ne peut s’empêcher de soupçonner Athénaïs.
— Il y a plus… poursuit Ninon. La Reynie a reçu une lettre anonyme qui t’accuserait. Guillaume va sans doute te poser quelques questions.
La main sur une crédence, Blanche est au bord de l’évanouissement. Ninon entoure ses épaules :
— Ne te fais pas de bile. Depuis que La Reynie l’a chargé de faire arrêter les escrocs qui pullulent dans les faubourgs et l’enclos du Temple, ton frère en reçoit par dizaines. Beaucoup vendent des onguents, des philtres d’amour, des mains de pendus et autres colifichets magiques, mais aussi des poisons. La Reynie s’inquiète surtout du nombre de bébés qui disparaissent. Ils seraient sacrifiés lors de messes noires célébrées dans des cimetières ou dans des caves. Des personnes de la noblesse la plus haute y participeraient.
Tremblante, Blanche murmure :
— Comment aurais-je pu empoisonner Aglaé ? J’étais dans un bordel. J’espère que Guillaume me croira…
— Simple formalité. Charlotte de Bouillon a exigé que la lumière soit faite sur cette affaire. Elle soupçonne tout le monde.
— Elle me déteste : ce n’est pas une raison.
— Si je peux te donner un conseil, évite de retourner à la Cour ces temps-ci. La marquise de Sévigné raconte que tu as tenté de prendre la place de la Montespan.
— Quelle peste ! Le roi me protège, voilà tout !
Blanche ne s’attarde pas. Dans l’église des Blancs-Manteaux, elle s’agenouille devant la statue de la Vierge :
— Mère toute-puissante, pardonnez-moi mes
Weitere Kostenlose Bücher