La Revanche de Blanche
dessin ?
— Une paillardise homérique.
— Je vois, dit-elle en rougissant.
— Que deviens-tu depuis tout ce temps ?
— J’ai joué dans Le Misanthrope, dans Le Médecin malgré lui , se vante Blanche. J’ai fait bonne impression au roi, à la reine aussi…
— J’espère que tu n’as pas l’intention de continuer à jouer les mondaines.
— Tu n’aimes que les plaisanteries de marins ; j’ai des goûts plus… raffinés.
Blanche s’enfonce dans une pile de coussins, boit un verre d’eau citronnée, croise les doigts : pourvu que Charles réapparaisse, que la requête de Ninon aboutisse.
Sans attendre, Ninon prend une place pour Le Médecin malgré lui et en profite pour saluer son ami Molière. Elle n’a pas de mal à le convaincre. Après une représentation exceptionnelle du Misanthrope dans le salon de Madame, Blanche participera aux comédies-ballets commandées par le roi pour les fêtes de fin d’année à Saint-Germain.
Depuis début septembre, Blanche flâne, lit, reprise, s’ennuie. Par bonheur, un billet de la reine est livré rue des Tournelles. Marie-Thérèse la convie au château de Vincennes. Ça tombe bien !
Le ciel s’assombrit. Dans la voiture menée de main de maître par Blase, Blanche, l’esprit léger, découvre, derrière les frondaisons, l’imposante forteresse médiévale. Devant une des trois portes du mur d’enceinte rehaussé de six tours, Blase montre patte blanche. Les gardes s’écartent. Le carrosse s’arrête sur une vaste place pavée où circule une foule de domestiques, soldats et paysans. Blanche se faufile entre des échoppes où les officiers du serdeau vendent les restes de la table du roi. Une odeur de graillon se mêle à celle du crottin. Flanqué de deux ailes récentes dues à Le Vau, le pavillon du Roi et de la Reine, le château est entouré de bâtiments militaires, d’une chapelle et d’un donjon massif cerclé de douves, desservi par deux ponts-levis.
— C’est dans cette prison que le cardinal de Retz alla méditer sur la Fronde. Fouquet y séjourna avant son transfert à Pignerol. Ça fait froid dans le dos ! s’exclame Blase.
— La prison de Retz ! Georges de La Motte est mort ici, frissonne Blanche.
Perdue dans une entrée immense, jonchée d’immondices, elle demande à un courtisan où se trouve la chambre de la reine.
— Passez par ce couloir, il vous mènera dans son aile, beauté ! lui lance-t-il.
Dans une pièce à caissons peints, Marie-Thérèse, grosse de six mois, est allongée sur un lit à baldaquin. Autour d’elle, des amazones cancanent. Athénaïs présente à la reine son caméléon, se tourne vers Blanche et l’entraîne vers une fenêtre :
— Ravie que tu sois parmi nous. Tu tombes à pic. Le roi est parti chasser avec Aglaé ce matin ; j’en suis verte. Louise va accoucher, elle en profite pour lui damer le pion.
La chambrière d’Athénaïs interrompt leurs confidences :
— Mademoiselle de La Vallière vous fait savoir que les premières douleurs ont commencé.
Les jeunes femmes traversent l’enfilade qui mène aux appartements de Louise. Chacun peut y circuler à sa guise. Prostrée, la favorite pousse des cris qu’elle étouffe dans son oreiller. M. Boucher, son médecin-accoucheur, l’incite à respirer par petites bouffées. Un valet lui essuie le front.
— Mes amies, vous me voyez en piteux état, murmure Louise. Vous êtes gentilles d’être venues.
Des pas résonnent sur les cabochons.
— Vite, allez voir qui arrive, s’affole-t-elle.
Blanche jette un œil à l’extérieur : Madame, accompagnée de ses suivantes, s’approche, tête haute, lèvres pincées, regard noir. Louise ordonne aussitôt à Boucher de se dissimuler derrière une tenture. Henriette entre, la dévisage. Dévorée de honte, la favorite mord un linge en se tordant :
— Ah ! Madame, j’ai la colique, je me meurs.
— Je ne fais que passer, je vais à l’oraison, croasse Minette.
Dès qu’elle a quitté la pièce, Boucher sort de sa cachette, une lancette à la main.
— Hâtez-vous, s’impatiente Louise, je veux être libérée avant qu’elle revienne.
Vingt minutes plus tard, l’enfant paraît.
— Une fille, annonce Boucher qui se précipite pour la saigner.
Louise dessine une petite croix sur le front du nourrisson. L’accoucheur fait rouler l’enfant dans un lange. Un valet l’emporte.
— Dites à mes gens d’apporter des sucreries, des
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