La Revanche de Blanche
Tuileries, dans ce petit appartement où madame Colbert l’élevait en toute discrétion. Il était joyeux, si gentil. Colbert s’occupera des obsèques. Louis ne souhaite pas que je m’y rende.
— Je prierai pour lui, promet Blanche en la serrant dans ses bras.
L’hôtel de Sagone est vide. Ninon a été invitée dans le Poitou, chez les Plessis-Guénégaud. Blase tient la maison. Le 14 juillet, Blanche se rend à pied à la première répétition du Médecin malgré lui. Il est neuf heures du matin ; elle flâne dans les Halles. Des catins tiennent déjà boutique. Des gamins volent des fruits, des estropiés quémandent, des marchands exhibent des montagnes de primeurs, de viandes, de charcuteries. Blanche hèle un porteur d’eau, se désaltère en se réjouissant d’avoir plu au roi – il règne sur le théâtre : un agrément et l’on joue ; un silence, et l’on ferme.
Devant le Palais-Royal, en chemise blanche et chausses jaunes, Molière l’apostrophe :
— Ma jolie, je suis heureux de te voir avant l’arrivée de la compagnie. Il faut que je te parle. Pendant ton séjour à la Cour, j’ai reçu la visite d’un homme de loi, un certain maître Dubois. Il prétendait venir de la part de tes frères et m’a mis en garde. D’après lui, tu n’aurais pas leur autorisation pour être comédienne.
— De quoi se mêlent ces crétins ? Ils ont voulu m’enfermer dans un couvent. Ils ne vont tout de même pas m’empêcher de jouer ! Il faut prévenir Ninon.
— C’est fait. Elle leur a écrit. Ils ont juré ne pas être au courant de l’affaire.
— De qui peut-il s’agir ?
— Ta marraine a chargé ton frère Guillaume de retrouver ce Dubois. Son nom ne figure pas au registre des avocats. Peut-être est-ce un fâcheux ? Quoiqu’il arrive, tu joueras Jacqueline, une nourrice désopilante. J’ai confié à Catherine le rôle de Martine, ma femme. Tu verras, les scènes de ménage sont gratinées ! J’endosse à nouveau les habits de mon brave Sganarelle. Cette fois, c’est un bûcheron ivrogne qui bat son épouse. À travers ce médecin malgré lui, je dénonce encore l’ignorance de ces bons à rien de la faculté. Allons rejoindre la troupe et, surtout, ne te laisse pas démonter.
Prise de vertige, Blanche se mêle aux décorateurs, habilleurs, musiciens et machinistes qui s’activent. Sur la scène éclairée par une rampe de chandelles, Armande, les cheveux bouclés avec art, s’agace : Du Croisy est en retard. Blanche grimpe sur l’estrade pour la saluer.
— Vous arrivez comme une fleur, la rabroue Armande. Mademoiselle était à la Cour et daigne rejoindre notre troupe de saltimbanques !
— Allons, allons, je ne veux pas d’histoires, mon petit chat, tempère Jean-Baptiste.
Chafouine, Blanche s’assied au parterre à côté de Catherine, en robe de satin couleur feu, trois guipures, trois volants. La De Brie se gratte la tête :
— Armande prend la mouche pour une broutille, on ne peut rien lui dire.
La Grange griffonne des notes, pose sa plume, allume une pipe :
— Je plains Jean-Baptiste. Nous jouerons Le Misanthrope et Le Médecin malgré lui d’affilée : il va passer d’Alceste à Sganarelle sans transition ; il est si fatigué.
— La maladie de son père le mine, ajoute Catherine. L’an dernier, il a perdu sa sœur, Madeleine : il a eu beaucoup de chagrin.
Armande rejoint les comédiens, les toise, provoque Blanche :
— Rien ne m’amuse plus que d’interpréter les menteuses muettes. Quels sont les derniers potins de la Cour ? On dit que le roi serait amoureux de la Montespan, qu’elle le ferait marcher.
— Ce sont des histoires, tranche Blanche. Le roi aime Louise, un point c’est tout.
— Tu es naïve. Athénaïs la croquera comme Raminagrobis, sa souris. Sous ses airs de ne pas y toucher, se cache une fieffée garce.
— Je ne te permets pas ! s’emporte Blanche.
— C’est l’influence des courtisans qui te donne du poil de la bête ? la mouche Armande qui se drape dans un châle de dentelles.
Blanche se retient de la griffer, de lui jeter à la figure : « La garce, c’est toi ! Je suis sûre que tu as soudoyé maître Dubois, pour m’évincer. »
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Après le trop sérieux Misanthrope , Molière est sûr du succès du Médecin malgré lui , une « bagatelle » inspirée du Fagotier, une bonne vieille farce elle-même tirée de son répertoire de province. Finaud, il sait
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