La Revanche de Blanche
Troupe du Roi par sa gouaille, sa drôlerie, sa bonhomie, sa faconde. Suivante de la reine, elle est tout simplement royale.
L’article est signé Gorgibus. Un pseudonyme. Blanche frétille. Persuadée que les passants la reconnaissent, elle ne touche plus terre. À six heures du soir, elle s’en retourne au théâtre, toute guillerette. À l’entrée des artistes, elle croise Armande qui lui jette sèchement :
— Marotte te remplacera dès ce soir. Tu ne t’attendais pas à cela ?
Sous le choc, Blanche se précipite vers Molière.
— Je n’ai rien pu faire, bredouille-t-il. Crois-moi sur parole. C’était elle ou toi. L’article a mis Armande dans une telle fureur que j’ai dû céder. Sois patiente. Marotte est une piètre comédienne, elle ne donnera pas le change longtemps. C’est l’affaire de quelques jours.
— Mais c’est monstrueux ! Je n’ai rien à me reprocher. Je ne veux pas abandonner Jacqueline. Comment oses-tu me chasser à cause d’un article élogieux ? Tu ne peux pas être à la fois un bon maître et un valet !
— Touché, la belle. Je n’ai pas dit mon dernier mot. Ne t’en fais pas, tu es des nôtres, tu reviendras vite, ça se tassera.
Jean-Baptiste rejoint les acteurs qui piaffent. Blanche se cache derrière un décor, éclate en sanglots et quitte la salle en pestant :
— Espèce de pute ! C’est trop injuste !
Rue des Tournelles, elle se jette dans les bras de Ninon qui vient de rentrer de Fresnes, ravie de son été chez les Plessis-Guénégaud.
— Qu’est-ce qui t’arrive, ma chérie ? Calme-toi, assieds-toi, dis-moi tout. Si c’est un chagrin d’amour, jette ton dévolu sur quelqu’un d’autre. Si c’est une amie qui t’en veut, traîne-la dans la boue. Si…
— Molière m’a évincée ! Armande lui a fait du chantage !
— À cause de l’article ? Je l’ai lu. Réjouis-toi : il est très flatteur.
— Justement. Armande ne l’a pas supporté. Tu sais, je me demande si cet éloge n’est pas un traquenard. Depuis l’intervention de cet étrange avocat, je suis devenue méfiante.
— Tu penses trop ma chérie, réagis, c’est plus sain. J’ai prévu d’ouvrir mes cinq-à-neuf et d’inviter Molière. J’interviendrai pour qu’il te réintègre, promet Ninon. Tu peux compter sur moi.
Blanche déchire son livret, avale cul sec deux verres de prune avec l’impression de partager ce que sa mère a ressenti quand les Précieuses l’ont exclue de leur cercle : la même soif de revanche.
Pour l’égayer, sa marraine lui raconte son séjour à Fresnes :
— Tout y respire la douceur, la galanterie, l’enjouement. Madame de La Fayette a conquis le cœur de La Rochefoucauld. Son amitié pour le fils du duc y est pour beaucoup.
— Charles était à Fresnes ? se pique Blanche.
— Je comprends qu’il te plaise : il est charmant. Il m’a demandé de tes nouvelles. Il admire follement son père et citait à tour de bras ses Maximes qui viennent de paraître. Il conversait beaucoup avec Marie de Sévigné.
— De quoi parlaient-ils ?
— Des copies de L’Histoire amoureuse des Gaules de Bussy-Rabutin ont circulé. La marquise a découvert le portrait insultant que son cousin a fait d’elle. À la lecture de ce texte irrévérencieux, le roi a donné l’ordre d’exiler Bussy. Marie s’en est beaucoup affligée auprès de Charles…
— … Qui l’a consolée, je suppose, la coupe Blanche, cynique.
— Ne te fais aucun souci, ma biquette : la marquise a quarante ans, elle a d’autres préoccupations. Elle vient de marier sa fille chérie au comte de Grignan, un veuf de quatorze ans son aîné – on dit qu’il a le mal napolitain. Il possède un château dans le sud de la France : une belle compensation.
Blanche se ronge les ongles. De retour d’une expédition en Méditerranée, Antoine entre dans la chambre de sa mère. Botté, braillé de neuf, l’officier de marine embrasse Blanche et Ninon. Dégrossi, plus sûr de lui, il dégage un rien de sauvage et d’inquiétant qui n’échappe pas à Blanche.
— Quel voyage ! Nous nous sommes arrêtés en Grèce. J’ai été fasciné par la beauté des îles. J’ai découvert quantité de temples en ruine laissés à l’abandon. Des pêcheurs nous ont vendu des antiquités pour une misère, se félicite-t-il en tendant à Blanche un vase orné d’une scène érotique.
— C’est gentil, un peu cassé. Que représente le
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