La Revanche de Blanche
lui explique qu’il faut la tremper dans une sauce béchamel, du nom de son maître d’hôtel. Tandis qu’elle se régale, le roi sourit à Blanche :
— Voulez-vous le cœur, mademoiselle ? On dit que ce légume a des vertus insoupçonnées. Mes médecins me le conseillent.
Blanche rosit ; Athénaïs lève les yeux au ciel.
Le Louvre est le palais des courants d’air. Blanche se perd dans les galeries chargées de tableaux où courtisans, domestiques, artisans et bourgeois vaquent pour tenter de voir le roi, de glaner une indiscrétion, de piquer de l’argenterie ou de se nourrir à bon compte. Dans l’après-midi, elle se fait conduire rue des Tournelles, aide Ninon à lancer les invitations de ses cinq-à-neuf. Le soir, elle rejoint le palais pour le coucher de la reine. Entre deux parties de cartes, le roi la complimente : elle n’y voit que de la galanterie. Louis a des manières. Jamais rien de désobligeant ni de déplacé ne lui échappe. Blanche est sensible à cet air de bonté qu’il pose sur chacun, à sa façon de soulever son chapeau devant chaque femme, même les chambrières. Ses gestes les plus simples, son port, sa contenance, ses révérences, toujours légères, ont une grâce, une majesté que la petite Bretonne apprécie de plus en plus. Chez lui, tout est mesuré, décent, naturel. Il excelle à la danse, au mail, à la paume. Caresse ses huit chiennes qui ne le quittent pas. Sa passion pour les jardins a quelque chose d’enfantin.
Tard dans la nuit, Blanche s’assoupit dans une chambre proche de celle d’Athénaïs, soulagée que son amie ait remisé ses projets funestes dans les douves du Louvre. L’humeur de la Montespan varie selon qu’elle a gagné ou perdu au jeu où elle mise des sommes folles. Qu’importe, c’est l’argent du roi.
Peu après la Toussaint, obligée de rejoindre la troupe de Molière pour les répétitions du Ballet des Muses, Blanche se surprend à regretter d’être séparée de Louis. Elle aime qu’on l’aime. Le roi entre dans la salle du trône ; chacun s’écarte. Il sourit à certains, glisse un mot à d’autres, ignore ceux qui l’ennuient. S’arrête près de Blanche, la fixe avec insistance :
— J’ai commandé un ensemble de divertissements, de danse, de comédie, de pantomime à ma troupe et à celle de l’hôtel de Bourgogne afin que ces comédiens se rapprochent. Je tiens beaucoup aux ballets. Vous y serez un astre. Nous nous retrouverons bientôt à Saint-Germain où ces festivités seront données, pour notre plus grand plaisir.
Blanche s’incline, l’âme en fête.
Le 28 novembre 1666, l’agitation règne au théâtre du Palais-Royal. Amaigri, les yeux cernés, Molière orchestre le déplacement des décors :
— Ceux du Misanthrope devront être portés dans le salon de Madame, pour une représentation unique, ce soir. Vous passerez par le grand escalier. Ceux de L’École des maris et de L’Amour médecin restent ici : ils serviront tout à l’heure. Il faudra aussi rassembler les toiles que nous transporterons à Saint-Germain.
Au milieu des machinistes, Armande court vers Blanche, la serre dans ses bras, la prie de lui pardonner ses fureurs. À demi rassurée, celle-ci reste sur ses gardes. Confus, Molière lui annonce que Marotte reprend son rôle dans Le Misanthrope . Blanche s’y attendait. Elle sera des festivités de fin d’année. Pas Marotte. Jean-Baptiste grimpe sur scène, frappe dans ses mains :
— Mes amis, nous partons demain matin. Les fêtes commencent le 2 décembre et se termineront début février. Le roi m’a demandé deux comédies. Nous jouerons Mélicerte et Le Sicilien ou l’Amour peintre. Je tiens beaucoup à Mélicerte, une comédie pastorale héroïque tirée du Grand Cyrus , de mademoiselle de Scudéry. Je n’en ai rédigé que deux actes. J’y jouerai Lycarsis ; Michel Baron, son fils Myrtil, un jeune berger amoureux d’une bergère que son père veut marier à la nymphe Mélicerte. Désespéré, ce pauvre garçon menace de se suicider ; Lycarsis finira par céder à ses désirs. Nous répéterons là-bas. Soyez ponctuels : on lève le camp à dix heures du matin.
— Et moi, là-dedans, je fais tapisserie ? Il n’y en a que pour ton petit protégé, fulmine Armande.
— Tu seras Mélicerte, chérie. J’essaie d’être juste. Quoi que je fasse, tu n’es jamais contente.
Michel Baron, blondinet de deux ans de moins que Blanche, lui
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