La Revanche de Blanche
fleurs et des rafraîchissements, s’écrie Louise. Je veux recevoir, comme d’habitude. Le roi ne va pas tarder. Demain, je ferai medianoche avec la Cour.
En peu de temps, la chambre est saturée de roses. Vêtue d’une robe d’un vert mourant qui lui écrase le ventre, Louise se met à jouer aux cartes avec son frère, son épouse bretonne et Monsieur. À peine remarque-t-on sa pâleur extrême tant ses joues sont fardées de poudre de corail.
— Le roi tarde, se plaint-elle à Monsieur.
— Ne saviez-vous qu’il est à la chasse, à Versailles avec mademoiselle de Bouillon ?
Louise défaille. Son valet lui tend un flacon de sels. Athénaïs glisse à l’oreille de Blanche :
— Il est temps que nous allions chez la Voisin.
12
La chasse a été bonne. Huit cochons, trois cerfs. Un faisan sur l’épaule, Louis va pisser contre un cyprès, puis il prend des nouvelles de Louise et lui offre des gâteaux qu’elle partage avec une poignée de vieilles duchesses édentées. Pas un mot sur l’accouchement, pas un sur l’enfant.
Le 15 octobre 1666, quinze carrosses de la Cour font route vers Paris. Dans sa voiture tirée par quatre juments grises, Athénaïs déchiquette une cuisse de poularde tirée d’un panier de victuailles :
— J’ai hâte qu’on me lise l’avenir, hâte de jeter un sort à Aglaé.
Blanche n’a pas bien faim.
Au Louvre, les jeunes filles profitent de la cohue pour s’éclipser. Athénaïs ordonne à son cocher de la conduire rue Beauregard. Le visage caché sous une voilette, elle saisit le poignet de Blanche :
— Tu es mignonne de venir avec moi, seule, je n’oserais pas.
Les escarpins boueux, les amies toquent à la porte de Catherine Monvoisin. Un bossu, sourcils épais, cheveux gras grisonnants, les déshabille du regard avec un mélange de couardise et de crainte.
— Entrez, mesdames, mon épouse se fera un plaisir de vous recevoir, insiste l’homme.
Bras dessus, bras dessous, elles pénètrent dans le repère de la Voisin. Vêtue d’une robe d’impératrice de velours cramoisi semée d’aigles d’or bicéphales, Catherine esquisse une révérence ostentatoire devant Athénaïs :
— Qui que vous soyez, madame, vous êtes la bienvenue.
D’un geste agacé, elle fait signe à son mari de disposer. Elle semble ne pas reconnaître Blanche, invite ses clientes à s’asseoir.
— On m’a dit que vous disiez l’avenir, dit à voix basse Athénaïs.
— Il est vrai. Je possède des dons que Dieu m’a donnés : la chiromancie et la physionomie. J’ai appris ces sciences dès l’âge de neuf ans. Avec l’expérience, je me suis établie devineresse. Sachez que je me trompe peu : j’ai prédit la mort de feu le roi Louis XIII, celle d’Anne d’Autriche, senti que Fouquet serait incarcéré.
— Ces prédictions vous ont-elles valu des ennuis ? s’inquiète Athénaïs.
— Pas le moins du monde. Mes connaissances ont heurté ces messieurs de la Sorbonne et les vicaires généraux, mais, après enquête, ils n’ont rien trouvé à redire.
La Voisin omet d’ajouter qu’elle a été emprisonnée à trois reprises, bannie et condamnée à une forte amende.
— Il paraît que vous recevez ici des dames de qualité, poursuit Athénaïs.
— Tout Paris soupe à ma table. Certains doctes de la Sorbonne, dont je tairai le nom, viennent y discuter astrologie, sciences des vents et des tourbillons, des gemmes, « des racines et des ailes », comme dit Confucius. Revenons à l’essentiel. Veuillez me monter votre main gauche, madame.
Le visage adipeux de l’empoisonneuse s’illumine :
— Votre avenir s’ouvre bien. Je peux vous annoncer qu’il vous est favorable. Vous êtes promise à un destin glorieux. Vous serez aimée, adulée par un grand homme. Vous triompherez, en dépit des haines, annonce la Voisin, mielleuse, avant d’ajouter, la bouche en cul-de-poule : une femme dont je ne discerne pas vraiment les traits s’attachera à vous supplanter. Elle est forte, tenace, habile…
— J’en étais sûre ! s’exclame Athénaïs. Madame, je sais de qui il s’agit. Cette femme est dangereuse. Pourriez-vous venir à mon aide ? N’auriez-vous pas en votre possession quelques plantes susceptibles de la tempérer ?
Blanche met sa main sur sa bouche, se retient de protester. L’air compassé, un mouchoir qu’elle malaxe de sa main gauche, la Voisin salive :
— J’ai tout ce qu’il faut, chère madame, mais
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