La Revanche de Blanche
le choix ? Il fallait que je renverse la situation. Benserade a écrit que j’étais un honnête homme. Je ne suis pas dupe : nombre de courtisans me considèrent comme un bouffon, pour ne pas dire un méchant farceur. En vérité, je n’ai pas encore réussi à créer une comédie digne de ce nom. Même mon Tartuffe est aux oubliettes. En attendant que j’aille mieux, reste à la Cour et ne te laisse pas gagner par la prétention de ce monde fait de gens qui se croient grands.
Blanche s’agenouille devant lui, serre ses genoux. Molière est pour elle comme un père. L’affection qu’elle lui porte, le respect pour son génie oblitèrent son désir de chasser l’amertume qui lui ronge le cœur.
Une fine couche de neige couvre le parc. En longs manteaux, les comédiens s’avancent vers leurs voitures. Soutenu par La Grange, Molière marche à petits pas, salue Blanche de la main. Avant de grimper sur un chariot, Baron lance à sa nouvelle amie :
— Belle dame, il te faudra choisir entre la Cour et le théâtre, la-la-lère…
Blanche lui fait un pied de nez. Lorsque la caravane disparaît dans le blanc, elle rentre se réchauffer. Adieu, fous rires ; adieu, tablées joyeuses. Demain, elle ira à Versailles. Il faudra flatter, faire rire. Il fera si froid.
Elle étale sur son lit ses trois robes de princesse offertes par Ninon. Elle les a si souvent portées. Ici, on se change trois fois par jour. Comment faire ? Combien de temps faudra-t-il attendre pour que le roi lui verse sa petite rente ? À Noël, elle a eu droit à une boîte de pâtes de fruits. Rien de plus. Ses gages au théâtre sont dérisoires. La Grange lui a promis vingt livres. À peine de quoi s’acheter un jupon. Le jour de ses seize ans, les comédiens ont trinqué à sa santé, Molière lui a donné un recueil de ses pièces. Elle s’est sentie prête à l’amour, à la liberté. Elle se regarde dans le miroir de sa toilette : suis-je belle ? J’ai si peu confiance en moi. Est-ce pour cela que j’ai tellement envie de paraître, de briller ? De me jeter en pleine lumière ? J’ai toujours peur d’être abandonnée, oubliée. D’où me vient cette crainte de n’être jamais à ma place ? Ai-je même une place ? Antoine me reproche mon impudeur, mon goût des mondanités. Sur scène ou à la Cour, j’ai l’impression de vivre, de ne plus être seule. J’ai besoin de séduire ; je suis si impatiente d’être désirée. Ninon a beau me sermonner, je ne suis pas si influençable qu’elle le croit. Nous avons nos petits secrets, Athénaïs et moi.
Vêtue de la robe de Daphné, elle descend par l’escalier d’honneur, la tête haute, comme si elle entrait en scène.
13
À Versailles, le roi a réservé une surprise à ses dames : un petit carrousel les attend près de l’Orangerie. Athénaïs, Aglaé, Louise, Blanche, Mlle de La Mothe-Houdancourt, la princesse d’Harcourt, Mme du Roure, Mlle de Fiennes montent en amazone sur les chevaux de bois peints en blanc. Leurs robes volent. Le duc d’Enghien et Monsieur se lèchent les babines.
Le lendemain, le roi ouvre le bal du Carnaval. Chacun tente de savoir qui est l’inconnue avec qui il danse. À son parfum capiteux, se devine la blonde Athénaïs. Soulagée de lui laisser la vedette, Louise s’efface. Blanche lui tient compagnie ; ce soir, elle ne dansera pas.
Pendant le carême, entre deux offices, Blanche et Athénaïs s’amusent à suivre Aglaé dans les allées du parc. Elles la surprennent en conversation avec Louis. La Bouillon s’extasie sur l’ordonnance des jardins, donne au roi des conseils pour la couleur des parterres, le choix d’une sculpture. Persuadées que cette cachottière colporte des rumeurs qu’elle glane ou qu’elle invente, elles la mettent sur des fausses pistes, se régalent de leurs farces, se moquent de ses grands airs, de sa bêtise.
Un matin d’avril, des soldats empanachés défilent près du carrousel. Les jeunes filles admirent leurs uniformes. Après avoir inspecté ses troupes, Louis retrouve Aglaé, Blanche, Louise et Athénaïs.
— Nous nous préparons à une longue guerre contre l’Espagne, leur déclare-t-il avec gravité. Il est grand temps que je récupère ma part de l’héritage de Philippe IV : une série de duchés, comtés et seigneuries dans les Flandres, une partie du Luxembourg et de la Franche-Comté.
— Majesté, est-ce à dire que vous partez en campagne ? s’assombrit
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