La Revanche de Blanche
descend de cheval, s’avance pour saluer la reine qui détourne la tête.
— Votre présence est une insulte, cingle Aglaé.
— Monsieur, je vous interdis de servir mademoiselle de La Vallière. Pas même un verre d’eau, ordonne Marie-Thérèse à son premier maître d’hôtel.
Tremblante, Louise enfourche sa jument, la fouette d’un coup sec. La reine décrète qu’elle veut voir son mari manu militari . Elle grimpe dans son carrosse, suivie des trois Grâces. La tête entre les mains, elle se mouche bruyamment en agitant son chapelet.
— J’admire la hardiesse de Louise, ironise Athénaïs. Quel toupet ! À sa place, j’aurais honte. Dieu me garde d’être la maîtresse du roi. S’il me rendait malheureuse, je ne me serais jamais permis pareille effronterie.
Marie-Thérèse ouvre la portière et vomit son dîner sur sa chambrière. Blanche lui tend un mouchoir.
À quelques encablures, perché sur une colline, Louis scrute l’horizon. Sur un chemin de traverse, un carrosse file vers lui à brides abattues.
— C’est Louise ! s’écrie Aglaé. Elle va nous devancer.
— Gardes, dépêchez-vous, rattrapez-la, s’égosille Marie-Thérèse.
— Courir après un homme ne suscite que le mépris, savoure Athénaïs.
Marie-Thérèse saute à terre, foudroie son mari. Louis s’incline :
— Madame, veuillez me pardonner ce petit imprévu. Je suis désolé que la présence de mademoiselle de La Vallière vous ait enchifrenée.
À l’ombre d’un sapin, Louise baisse la tête, son petit ballon caché au creux d’une robe bouffante.
Les voitures se dirigent vers le château de Nicolas d’Avesnes. Rondouillet, le sieur d’Avesnes accueille ses hôtes avec moultes courbettes. En leur honneur, il a fait préparer un menu copieux : cassoulet, poires au chocolat. Blanche, qui tombe de sommeil, monte se coucher avec Athénaïs. Les amies passent devant la sentinelle qui garde la chambre du roi, se glissent dans un grand lit un peu dur, devisent dans l’obscurité. Un quart d’heure plus tard, on frappe à leur porte. Blanche va ouvrir. Déguisé en Suisse, un flambeau à la main, le roi ôte son casque :
— Ce n’est que moi. Madame de Montespan et nous-même avons à nous entretenir.
Blanche prend sa camisole, sort de la pièce et patiente dans le couloir sous l’œil imperturbable de la sentinelle. Une demi-heure plus tard, elle finit par trouver une chambrette vide à l’étage. Recroquevillée sur une paillasse, elle murmure : « Ça devait arriver. Athénaïs a tout pour plaire au roi : le charme, la naissance, le piquant. Le genre de femme dont on ne saurait être jalouse. »
Réveillée par un coq dragueur, elle descend boire un verre de lait dans les cuisines. Un châle jeté sur son déshabillé, Athénaïs se tartine une tranche de pain. Impatiente de savoir comment s’est passée la nuit, Blanche lui sourit :
— Tu es bien matinale.
— Je n’ai pas fermé l’œil. Jure-moi de ne rien dire à personne.
— Promis !
— Le roi m’est acquis, avoue Athénaïs, les yeux pétillants. Il est agile, vaillant, en redemande. Je sais par quoi les hommes flanchent. Demain, j’irai à confesse et Dieu me pardonnera.
Cuirassé, le torse barré par le cordon du Saint-Esprit, le roi, vingt-neuf ans, vole de victoire en victoire contre l’armée espagnole. Son cheval blanc caracole aux côtés du carrosse où la reine devise avec Athénaïs. Sur les petits chemins de terre, il chantonne et plaisante avec celle qu’il honore chaque soir. Aux étapes, Marie-Thérèse passe d’églises en couvents, la Montespan de sa couche à sa cuvette violonée.
Le 30 juillet, la veille de l’attaque de Dendermonde, Turenne et quelques officiers sont conviés à souper dans le châtelet du sieur de Bruay, sur la rive droite de l’Escaut. Charles est le cousin du roi, il viendra. Blanche en est sûre. Dans une chambre aux bons vieux meubles de province, Athénaïs bâille. Elle n’a pas dormi de la nuit. Primesautière, Blanche lui demande conseil pour sa tenue. Dans la confidence, Athénaïs lui propose de lui prêter des vêtements. Après maintes tergiversations, Blanche opte pour sa vieille robe moirée, à peine décolletée. Tout le charme est dans cet « à peine ». Sa chaîne en or à pendentif et un vertugadin crème feront l’affaire. Les cheveux dénoués, une mouche surnommée « la passionnée » au coin des lèvres et la voilà prête.
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