La Revanche de Blanche
jette un regard coquin :
— Content de te connaître. Je me sentais un peu seul. On va s’en donner à cœur joie, Daphné, belle bergère.
Michel se met à aboyer, puis à miauler. Blanche rit : ce petit gars ira loin. Avant la représentation chez Henriette, elle s’éclipse. Mieux vaut ne pas croiser Marotte.
Le lendemain, dans le matin brumeux, la caravane s’achemine vers Saint-Germain. Le soleil perce le brouillard. En briques roses, flanqué de tourelles et de la chapelle de saint Louis, le Château-Vieux, accolé au Château-Neuf, bordé d’une grande terrasse qui s’incline vers un parc aménagé par Le Nôtre, a quelque chose de plus humain que l’austère Vincennes. C’est là qu’en pleine Fronde, le jeune Louis, âgé de onze ans, s’était réfugié avec sa mère. Des dizaines de carrosses sont garés près des écuries. Des palefreniers pansent les chevaux. Des gens de maison apportent des victuailles. Des enfants jouent aux quilles sous la garde de leurs nourrices. Les comédiens s’installent dans les communs. Ceux de l’hôtel de Bourgogne, Lafleur, Floridor, Hauteroche, Mme des Œillets et les autres, se mêlent à ceux de la Troupe du Roi. On se salue, on se toise, on boit pour éviter le sujet qui fâche : la trahison de Racine dans l’affaire d’ Alexandre . Lully fait répéter les violons. Des danseurs multiplient les sauts de chat pour s’échauffer. Les habilleuses sortent les costumes de scène des panières. Des domestiques dressent le couvert. Blanche se réfugie dans la grande cuisine où mijote un ragoût de mouton. Michel Baron lui sert une assiette fumante :
— Ça me fait du bien de te voir. Tu es un peu ma grande sœur. J’ai perdu mes parents quand j’étais p’tiot. Mon oncle m’a fait engager dans la troupe de la Raisin, une aventurière de grand chemin. J’ai eu de la chance que Molière m’adopte.
Blanche mange à pleines mains. Se lèche les doigts :
— Je l’aime beaucoup, mais je trouve qu’il s’épuise à la tâche. Il devrait arrêter de jouer, se contenter d’écrire. Il est si doué.
— Il met un point d’honneur à rester parmi nous. Il y a tellement de disputes. Armande m’a prise en grippe.
— Moi aussi !
— Tu veux que j’imite les comédiens de l’hôtel de Bourgogne ?
— Vas-y !
Le jeune garçon déclame avec emphase. Blanche éclate de rire. À dix heures du soir, ils vont se coucher sous les toits. Tôt le matin, les répétitions se succèdent dans le salon. Blanche esquisse des pas sur la musique de Lully. Nez busqué, corps de danseur, le Florentin la fait tourner, tourner encore.
Le 1 er décembre, le roi, Louise, Athénaïs, Aglaé, Monsieur, Madame, princes, ducs et marquis s’exercent aux ballets sous la houlette de Beauchamp. Blanche salue Louis d’une légère révérence. Lorsqu’il danse, on ne voit que lui. Elle envoie un baiser à Athénaïs, s’aperçoit très vite qu’elle dérange : sa place est avec les saltimbanques.
Le lendemain, la Cour se transforme en basse-cour. Bergères et bergers, lapins et lapines envahissent le salon blanc où une estrade a été montée. On se pâme devant une vache grasse, des moutons enrubannés, des coqs coiffés. Chacun s’installe sur des chaises fleuries. Place aux plaisirs. Pour célébrer Euterpe, la mère de la musique, Louise, Athénaïs et Aglaé, pastourelles des champs, batifolent au milieu de la volaille. Une bagatelle suivie d’un spectacle plus corsé : deux danseurs torses nus, casques et boucliers, miment le combat d’Alexandre et de Pyrrhus accompagnés de tambours. Lully fait ensuite grincer ses violons en l’honneur de Calliope, patronne de la poésie épique. En guise d’apothéose, les trois Grâces du roi mènent la danse : les muses contre les Piérides. Jupiter transforme leurs rivales en pies. Afin de fêter cette victoire mémorable, le roi fait des ronds de jambe avec Louise avant de piquer sur Athénaïs. Une collation est servie. Les cancans caracolent. Aglaé se jette sur une pièce montée. D’or et d’argent vêtue, bouclée, mouchetée, Athénaïs règne. Un bon mot, un sarcasme et tous se couchent.
Après cette mise en bouche, Molière attaque les répétitions de Mélicerte. Cette féerie galante, précieuse et mélodramatique, destinée à plaire au roi n’est pas sa tasse de thé. Il s’efforce de lui donner du relief, du rythme, de l’humour, d’enchaîner mimiques, courbettes,
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