La Revanche de Blanche
Dans la salle basse, le brave Bruay et son épouse ont sorti leur argenterie. Le roi feint de s’intéresser à leur lignée de conquérants, Marie-Thérèse à leur descendance. Des chevaux hennissent. En rang d’oignon, Turenne et ses hommes se découvrent, s’ébrouent. La chevelure blonde de Charles éblouit à contre-jour. Dans une veste rouge à épaulettes dorées, il joint les talons, s’incline devant le roi. Salutations à la reine, aux suivantes, le chevau-léger fait son effet.
— Ravissante, glisse-t-il à Blanche, l’œil malicieux. Après la boucherie, quel délice de se trouver en si bonne compagnie.
Les cils de Blanche battent, sa bouche s’entrouvre. Charles l’invite à s’asseoir à côté de lui. Pâtés et gibiers se suivent. Turenne et les officiers vantent leurs exploits.
— Nous avons pris une branlée au siège d’Audernarde ! reconnaît Charles en caressant le genou de Blanche sous la table. Parle-moi plutôt de L’Amour médecin dont on m’a dit grand bien.
Blanche prend l’accent patois de sa Jacqueline et éclate de rire. On n’est pas sérieux quand on a seize et dix-neuf ans. Les jeunes gens quittent la tablée où l’on sirote une vieille prune. Dans une salle de garde armée jusqu’aux dents, un massacre de sanglier tire une langue bien rouge. Charles glisse la sienne entre les lèvres de Blanche. Elle est fraîche. Aussi douce que ses caresses sur sa toison. Yeux clos, elle enfonce ses ongles dans l’épaule du chevau-léger. Lorsqu’elle reprend ses esprits, elle lui sourit avant de retourner à la salle à manger. Ni vu ni connu.
Les officiers entonnent une rengaine de corps de garde. La reine monte dire son rosaire. Blanche, Aglaé et Athénaïs sont priées de la suivre. Charles retient un instant sa brune près de la cheminée :
— La reine attendra, ma biche. Je t’aime.
— Moi aussi, susurre Blanche en jouant avec son épaulette. Pourrais-tu couper une de tes boucles ? Ça me ferait si plaisir.
Charles dégaine son épée, tranche dans le vif. Blanche enveloppe la mèche blonde dans un mouchoir de soie, la fourre dans son corsage. En courant vers l’escalier qui mène à la chambre de la reine, elle envoie un baiser à son chevau-léger :
— Que Dieu te garde.
En août, le roi accélère la cadence. Les haltes sont courtes, les repas pris à la hâte dans le carrosse ou des salles d’auberges. Le plus souvent, on se contente d’une soupe, d’un morceau de fromage et d’un verre de vin de pays avant de s’endormir sur la paille. La reine fatigue. Il lui arrive d’avoir des palpitations, d’exiger des sels. Complices, Blanche et Athénaïs parlent de leurs amours naissantes, de ces instants où tout est encore en suspens.
À la fin du mois, à Arras, les dames n’espèrent qu’une chose : que la guerre s’achève. Devant sa tente, la reine lape sa soupe aux choux, lâche un rot :
— J’ai reçu une lettre anonyme, annonce-t-elle à ses suivantes en se curant les dents. Je n’arrive pas à croire ce que j’y ai lu. Madre madre ! On me dit que le roi serait amoureux de vous, madame de Montespan. Il vous retrouverait la nuit. Oseriez-vous me tromper ? J’ai transmis ce billet à Luis . Je veux en avoir le cœur net !
— Majesté, vous m’offusquez, blêmit Athénaïs. Cette lettre est une atteinte à mon honneur. Une calomnie ! Mademoiselle de La Motte vous prouvera que je dors à poings fermés à ses côtés, n’est-ce pas, Blanche ?
Sidérée par les talents de comédienne de son amie, Blanche confirme, avec aplomb. Aglaé couvre la reine d’un châle, lui lit un passage de la Bible jusqu’à ce que celle-ci cesse de pester contre le diable.
Sous la tente qu’elle partage avec Blanche, Athénaïs s’effondre sur sa paillasse :
— Maudite vermine ! Engeance de serpent ! C’est un coup d’Aglaé. Je ne me laisserai pas abuser.
La guerre s’enlise. En septembre 1667, le roi délaisse ses troupes et décide de rentrer à Saint-Germain. Après des nuits de prières, la reine s’en remet à Dieu. Blanche s’impatiente de revoir Charles, de remonter sur les planches. Au Château-Vieux, la marquise de Sévigné, venue saluer Athénaïs, s’attend à quelques confidences croustillantes. Une parure de diamants brodée d’or au cou, la Montespan parade, sans rien révéler de sa liaison. La Sévigné s’inquiète pour Molière. Depuis sa nouvelle version de Tartuffe , présentée,
Weitere Kostenlose Bücher