La Revanche de Blanche
mademoiselle.
— Impossible ! J’ai pris mes précautions, s’affole Blanche.
— Balivernes ! Ces petites bêtes-là s’infiltrent partout, s’esclaffe Clément.
— Je ne suis pas prête à être mère… Je suis dans le péché.
— Si vous le désirez, je peux vous donner l’adresse d’une faiseuse d’anges, suggère Clément.
En proie à la plus grande confusion, Blanche se liquéfie. Elle se souvient que la Voisin lui avait proposé de « faire passer l’enfant ». Les doigts noués, elle échafaude un rapide calcul. Pas de doute, c’est le fruit du roi. Est-ce une chance, un malheur ? Une grâce, peut-être ? Elle pense à sa mère qui prit, elle aussi, une décision lorsqu’elle l’attendait – une bonne décision !
— Non, merci. Je vais le garder, déclare-t-elle. Je me débrouillerai,
— Pour l’accouchement, vous pourrez faire appel à mes services. J’ai l’habitude de la discrétion qui sied en pareilles circonstances. Ce sera dix louis.
Dans l’église des Blancs-Manteaux, Blanche s’agenouille devant la Vierge, allume un cierge :
— Sainte Marie, faites que, de là-haut, ma mère nous protège, moi et cet enfant que je n’ai pas désiré.
Les représentations se poursuivent. Les nausées disparaissent. Blanche sent son petit ventre s’arrondir avec un mélange d’angoisse et d’excitation. Elle a hâte d’annoncer au roi la nouvelle, s’inquiète à l’idée que Charles et les siens découvrent l’Arlequin. Au théâtre, elle ne montre rien : Albine la porte. Brécourt la courtise, elle s’en fiche. Se rit en douce des acteurs qui ne se soucient que de leur succès, de la critique, des gens de qualité qui ne manqueront pas de les féliciter. Face à un public de plus en plus remonté, de moins en moins présent, Racine décide d’arrêter la pièce. Soulagée, Blanche se fait faire une « Innocente » à la Montespan, dans l’espoir que personne ne remarquera son ballon de cinq mois.
Le jour des Rois, une galette dorée trône sur la table de Ninon. Le manteau parsemé de flocons de neige, une barbe de trois jours, Antoine a pris du galon. Ninon se jette dans les bras de son fils. Guillaume tape sur l’épaule de son ami. Blanche fait bouffer les volants de sa jupe et embrasse les poils piquants de l’officier. Il la rejoint près du feu :
— Tu es superbe ! Quel bonheur d’être enfin à la maison ! Le retour fut pénible : nous avons essuyé des tempêtes. Plusieurs marins sont tombés à la baille. En Nouvelle-France, nous nous sommes battus contre les Hollandais. Une branlée !
— As-tu pu voir mon père ? L’as-tu convaincu de revenir ? s’impatiente Blanche.
— Que d’empressement ! Je vais tout te dire. Talon, le gouverneur, m’a permis de retrouver Ronan. Ton père vit dans une ferme cossue, au bord du Saint-Laurent. Il a eu deux beaux enfants d’Aurora, sa nouvelle femme. Une belle plante, bien charpentée. Il t’a écrit, ajoute Antoine en tendant une lettre à Blanche.
Elle pose la feuille sur son ventre, sourit à l’idée que la femme de son père porte le nom de sa jument et lit à voix haute :
Blanche, ma chérie,
Pardonne mon silence. Après la guerre contre les Iroquois, j’ai été atteint d’une langueur qui m’empêchait de sortir et d’écrire ; j’avoue que j’ai eu recours à l’alcool et à des plantes magiques pour soulager mon mal. Une femme est venue à mon secours. Tu l’aimerais beaucoup. Aurora est huronne ; elle s’est convertie. Elle a appris le français, m’a fait de beaux enfants. Pardonne mon silence. Je ne voulais pas te blesser. Mon plus grand désir serait que tu viennes nous voir. Je suis très fier que tu sois comédienne. Dieu sait combien j’aimerais assister aux farces de ce cher Jean-Baptiste que j’ai connu à ses débuts. J’espère que tu es heureuse. Antoine m’a dit que tu avais la charge de suivante de la reine. Si ton vieux père peut te donner un conseil : garde tes distances. La Cour est une chausse-trape. L’argent et les fastes éloignent de la création qui ne s’épanouit que si on choisit la liberté. Prends soin de toi. Écris-moi. Je t’aime.
En souvenir de ta chère maman, je t’embrasse tendrement,
Ronan .
Blanche plie la lettre songeant que son père lui préfère ses autres enfants.
— Il faudra que nous allions voir Ronan ensemble, propose Antoine en posant la main sur son genou.
Blanche la repousse pour
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