La Revanche de Blanche
lui tape sur l’épaule :
— Ne te braque pas. Ça vaut le coup : on va découvrir Chambord, ce sera la fête tous les soirs !
Durant la semaine de répétitions, Blanche s’adapte, bon gré mal gré. Molière fait travailler les comédiens jusque tard dans la nuit. Madeleine Béjart est pourtant si faible et, lui, si malade.
Le 18 septembre, au détour d’un bosquet, Chambord apparaît comme un rêve de pierres. Charrettes et calèches se garent. Molière grimpe l’escalier à double révolution dessiné par Léonard de Vinci afin de prévenir le roi de son arrivée. Un repas est servi dans l’office. Baron, La Thorillière, La Grange et Béjart boivent, ripaillent, plaisantent. Blanche dévore une tourte aux poireaux puis part à la recherche d’Athénaïs. En traversant un petit salon, elle surprend la marquise et le roi enlacés.
— Ma chère, je me félicite que vous soyez parmi nous, s’incline Louis. Vous qui êtes une amie, prenez donc la chambre qui donne sur la terrasse.
Athénaïs se poudre le nez, bat des cils :
— Tu vas être contente. Mon ami Racine accepte que tu joues dans Britannicus qui sera donné en décembre. Tu lui plais, on dirait…
— C’est gentil, je vais y réfléchir, murmure Blanche.
— Une occasion pareille ne se représentera pas, ajoute Louis, un doigt sur le téton droit de la Montespan.
Le rose aux joues, Blanche va découvrir son logement. Racine, se répète-t-elle, Racine, c’était mon rêve… Des boiseries, des meubles dorés, une chambre de princesse. Elle se débarbouille, pose une mouche sur son menton. Comment annoncer à Molière son départ ? À son habitude, elle repousse ce qui l’ennuie et rejoint les comédiens dans le parc où des planches ont été montées. Lully se prend les pieds dans sa toge de premier médecin. Chapeau à plume verte, jupe de taffetas, jarretière assortie, haut-de-chausses de damas rouge, moustache rousse, Molière ressemble à un perroquet. Sur la pelouse, les violons vrillent, des danseurs font des entrechats. Derrière des paravents, Armande se fait frisotter les cheveux. Blanche enfile sa robe en serge de Gasconne, ses sabots, sa coiffe. Le décor : deux maisons, une peinture de ville. Les accessoires : trois chaises, une énorme seringue, deux mousquetons, huit seringues de fer-blanc : tout est là. Bien en place.
À cinq heures de l’après-midi, chacun à son poste : le souffleur, les avocats, l’apothicaire, le premier et le second médecin, le premier et le deuxième Suisse. Un petit vent chaud de fin d’été caresse les décolletés. Voilà le roi. Musique !
Après le compliment de La Grange, un concert de voix et d’instruments s’élève imitant les roucoulements de deux amants. Des pages dansent une ronde endiablée. Deux archers tirent leurs épées. Les Suisses les séparent à coups de bâtons. Armande-Julie joue les mijaurées. Scène suivante, Lully fait le pitre et s’effondre sur son clavecin qui se casse en morceau. Un imprévu qui déclenche des cascades de rires. La démarche lourde, Molière en rajoute. On lui tâte le pouls : il pousse de longs râles. On le palpe : il crache. Blanche marmonne, râle, grogne. La salle applaudit. Scaramouches, Pantalon, Arlequin et docteurs se déchaînent dans un ballet final étourdissant. Le roi se lève. Les courtisans, aussi.
En guise de souper, les comédiens dégustent des poules au pot arrosées de bières. Épuisée, Blanche se love dans son lit douillet, avant de sombrer. Un souffle la réveille, une voix chaude lui parle à l’oreille :
— C’est moi, beauté, je vous regarde depuis un moment, vous gémissez comme un petit chat, lui susurre le roi, en chemise, cheveux défaits. Laissez-moi me glisser sous vos draps.
Blanche sent ses pieds chauds sur les siens, sa main sur ses fesses.
— J’aime votre cul, s’extasie Louis. Avez-vous déjà ressenti du plaisir à cet endroit-là ?
— Majesté, je n’oserais, piaffe Blanche.
Un peu plus tard, à travers la porte entrebâillée, une silhouette file comme un furet dans le couloir. Blanche enfile sa chemise :
— Quelqu’un nous a vus.
— Ne vous faites aucun souci, mon ange, ce n’est qu’une servante. Tout le monde dort.
Le roi ne s’attarde pas. Blanche s’en veut de s’être laissé aller comme une courtisane. Ninon a dû subir ce genre de choses. Elle ne s’est pas sentie gênée. Ne dit-elle pas que la véritable sagesse consiste à ne
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