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La Revanche de Blanche

La Revanche de Blanche

Titel: La Revanche de Blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Emmanuelle Boysson (de)
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jamais sacrifier le jour au lendemain ?
    Mais la nuit ?

19
    Félicités, remerciés, les comédiens s’en retournent à Paris. Contente de retrouver son chez-soi, Blanche s’empresse d’aller embrasser sa chère Ninon. Elle lui raconte son séjour à Chambord avec flamme et crépitements :
    — Figure-toi qu’Athénaïs a parlé à Racine. Il aimerait que je joue dans Britannicus . C’est fou, non ? Tu sais, j’en ai assez des petits rôles…
    — Ne nous emballons pas ! Molière t’a aidée ; il est mon ami. Marquise s’est mal comportée. Si tu t’entêtes, préviens-le ou je le ferai pour toi.
    — Je lui parlerai en temps voulu. Rien n’est joué.
     
    Sous un ciel gris jaune de novembre, Blanche fouette Aurore : « À l’hôtel de Bourgogne ! » Floridor, Hauteroche, Brécourt, Anne d’Ennebaut, Suzanne des Œillets… les tragédiens sont sur scène. Elle les a vus dans Andromaque et dans Les Plaideurs. Les Grands Comédiens lui ont paru prétentieux, mais elle aime tant les vers de Racine qu’elle est prête à tout pour les chanter. Racine observe leur jeu, s’emporte :
    — Cessez de déclamer. Je veux de la passion, du feu. Agrippine et Néron sont des fauves, des bêtes altérées de sang. Vous ne jouez pas du Corneille. Qu’il crève, ce vieux barbon ! Sa cabale est une honte.
    La tête entre les mains, Racine s’assied sur un tabouret. Blanche en profite :
    — J’espère que je ne vous dérange pas ?
    — Ah ! Mademoiselle, je suis ravi de vous voir. J’avais besoin d’une jeune fille fraîche pour Albine, la confidente d’Agrippine. Vous serez parfaite. Soyez gentils avec notre petite nouvelle, conseille Racine aux comédiens.
    Floridor, grand brun aux faciès angulaire, serre la main de Blanche en se vantant d’être le meilleur acteur de son siècle. Hauteroche, le directeur de la troupe, forte corpulence, sourcils épais, barbichette poivre et sel, la toise du bonnet. Brécourt, trente ans, sourit de ses bonnes joues qui sentent encore l’enfance. Suzanne des Œillets, brunette rondouillette, la quarantaine bien frappée, salue Blanche d’un air narquois. Anne d’Ennebaut, blonde évanescente, lui fait un clin d’œil complice.
    — Mademoiselle de La Motte, c’est à vous ! Vous avez la première réplique de la pièce. Tenez, lisez, ordonne Racine en tendant à Blanche une feuille où figure son texte rédigé à la plume d’oie.
    Intimidée, elle grimpe sur les planches, s’adresse à Suzanne des Œillets qui incarne Agrippine :
    —  Quoi ! tandis que Néron s’abandonne au sommeil,
    Faut-il que vous veniez attendre son réveil ?
    — Ma chère Blanche, il va vous falloir trouver le bon débit, faire porter votre voix, tique Racine. Nous ne sommes pas chez Molière. Ici, nous touchons à la beauté, à la grâce.
    Blanche recommence jusqu’à ce qu’il soit satisfait. Les mots coulent. Elle les savoure, les souffle avec la sensation d’être entre les mains d’un maître.
    Scène  II  : Lafleur, dans le rôle de Burrhus, se lance dans une longue tirade. Il tonne, tempête, faisant vaciller la flamme des bougies dans un vibrato crescendo que rien n’arrête. Scène suivante, Brécourt-Britannicus enchaîne avec une légèreté qui contraste avec les foudres d’Hauteroche-Narcisse. Floridor-Néron s’impose. Son timbre vibre :
    —  Depuis un moment et pour toute ma vie
    J’aime – que dis-je aimer –, j’idolâtre Junie.
    Blanche est conquise. La larme à l’œil, elle ne pense qu’à Charles. Suzanne des Œillets interrompt sa rêverie :
    — Racine est avare en compliments, mais vous ferez l’affaire.
    — N’êtes-vous pas la mère de Claude, la chambrière de madame de Montespan ?
    — Hélas ! Ma fille et moi sommes brouillées. Une histoire sordide, se ferme Suzanne.
    Blanche n’insiste pas. À la fin de la répétition, Brécourt l’aide à remettre sa cape :
    — Vous êtes délicieuse, mademoiselle.
    Soulagée d’avoir réussi à être à la hauteur, elle sourit au jeune homme. Seule ombre au tableau : il va falloir dire la vérité à Molière.
     
    Quelques jours plus tard, elle se décide. Comme de coutume, Jean-Baptiste griffonne, rature, rempile.
    — Ça me fait du bien de te voir, ma belle, dit-il en posant sa plume. Après la mort de mon père, les malheurs se succèdent. Marie Hervé, la mère des Béjart, dépérit. Elle a soixante-seize ans. Je lui dois tant ! Elle a donné toutes

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