La Rose de Sang
Toujours conduits
par la multitude, Zéphyrine et ses compagnons passèrent dans divers pavillons
consacrés à la foudre, à des momies, à la Lune. Ils arrivèrent enfin au lieu le
plus fascinant qu'être humain pût jamais voir : un jardin en or.
Zéphyrine
poussa un petit cri d'admiration. Des bâtiments du temple partaient à perte de
vue des terrasses, des parcs et des vergers. Ces « champs » descendaient vers
la rivière Huatanay. Tout était en or : l'herbe, les fleurs, les arbres, les reptiles, les oiseaux, les bergers,
suprême hommage d'un peuple à la puissance du dieu-lumière.
Autour
d'un feu, un groupe de jeunes vierges d'une grande beauté chantait. Elles
étaient vêtues de blanc et d'or. Avec gaieté, elles montaient vers un autel.
L'admiration de Zéphyrine se changea en un gémissement horrifié. Les bras
écartés dans sa soutane blanche allant aux genoux, semée de feuilles d'or et de
pierres précieuses, une tiare en diamants sur la tête, le vilcaoma, ou grand prêtre, donnait l'ordre aux
sacrificateurs.
Ceux-ci
faisaient tourner les victimes trois fois autour de l'idole, un soleil d'or,
avant de les égorger.
A
la mine heureuse des vierges montant au sacrifice, Zéphy- rine comprit qu'on,
avait dû les enivrer avec de la chicha, ou leur faire absorber des doses massives
de coca.
Les
oracles étaient mauvais. Le dieu s'obstinait dans sa méchante humeur.
Autour
de Zéphyrine, le peuple gémissait, se laissait aller au désespoir. Un gros
nuage blanc passait devant le soleil. C'était un signe terrible de danger, même
de catastrophe.
Sur
son estrade, le vilcaoma poussa un cri, la tête levée vers le ciel. Les vierges étaient remplacées par
de beaux enfants de cinq à dix ans que les prêtres égorgeaient ou étranglaient
avec des cordelettes, mais le dieu restait caché.
Zéphyrine
ne pouvait plus supporter ce cauchemar. Pressée parmi la foule, elle voulait
quitter ces lieux sanguinaires. Pâle comme un mort, Piccolo à ses côtés
semblait près de s'évanouir.
— Viens, Piccolo, partons, chuchota Zéphyrine.
— C'est pas de refus, Madame !
Un
cri arrêta leur mouvement. La foule scandait :
— Mama Occlo! Marna Occlo! Va nous sauver!
Avec le Prédestiné !
Une
« déesse » vêtue de noir, la tiare d'une lune en platine sur la tête, montait
les marches pour venir aux côtés du grand prêtre.
La
créature avait le visage voilé. Elle portait dans ses bras un bel enfant nu de
dix à douze mois. Un petit mâle qu'elle offrait à Viracocha.
— Doña
Hermina, Luigi... La maudite donne mon enfant à leurs dieux ! gémit Zéphyrine.
Elle
était agitée d'un tremblement nerveux. Mue par une force sauvage, Zéphyrine
fendait la foule.
— Païens ! Sacrilèges ! Assassins ! Mon fils !
Hurlante,
elle se frayait un chemin parmi le peuple épouvanté. Le vilcaoma en restait les bras en l'air. Les
sacrificateurs gardaient cordelettes et poignards levés sur les enfants.
Profitant
de la stupeur générale, Zéphyrine bondit sur l'estrade où se tenaient le grand
prêtre et Mama Occlo.
— Scélérate ! gronda Zéphyrine.
Elle
arracha l'enfant des bras de la déesse et voulut s'enfuir avec son précieux
fardeau. D'un geste, le grand prêtre la désigna à ses gardes. Revenant de leur
stupeur, ceux-ci tombèrent sur Zéphyrine. Elle se retrouva ligotée à un poteau
d'or. Elle n'avait pas lâché l'enfant. Le grand prêtre et la déesse venaient
vers elle.
— Machac pacac intiillapa yaloula accla cula
inti rayni Viracocha ! lança le grand prêtre.
Zéphyrine
avait appris assez de quechua pour savoir que cela signifiait :
— Toi démon... Femme choisie pour mourir Soleil!
Le
visage marqué d'une estafilade, Zéphyrine baissa les yeux vers l'enfant qu'elle
tenait frénétiquement serré dans ses bras. C'était un magnifique bébé aux
cheveux bruns bouclés, aux yeux marron doré. Il riait aux anges en regardant Zéphyrine,
inconscient du péril où il se trouvait.
Avant
de voir la rose dans son cou, Zéphyrine était sûre qu'elle avait son fils sur
son cœur. Le parfum écœurant de doña Hermina lui fit relever la tête. Relevant
son voile, Mama Occlo découvrait le visage ravagé de sa maudite belle-mère.
— Idiote, tu changes tous mes projets, mais c'est mieux ainsi,
nous allions sacrer ton fils Sapa Inca, mais meurs d'abord ma belle !
Doña
Hermina saisit Luigi
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